Mon oncle d'Amérique - une (sur)interprétation de Rumble in the Bronx

En 1992 sort Supercop, seconde suite de Police story, une des œuvres les plus populaires de Jackie Chan. Gros succès en Asie, ce troisième opus fait parler de lui à l’internationale, même s’il ne connaît pas de sortie aux USA avant des années. A en croire ce que raconte le réalisateur Stanley Tong dans les bonus du DVD anglais de Soif de justice, le studio Columbia l’avait contacté à cette époque parce qu’ils avaient beaucoup apprécié Supercop… par contre, ils ne voulaient pas distribuer de film doublé ou sous-titré, et ont donc demandé au cinéaste d’en faire un autre dans le même genre, mais en Anglais.
Je trouve cette réticence à distribuer des productions étrangères complètement absurde, mais sans ça, on n’aurait jamais eu un de mes Jackie Chan favoris : Rumble in the Bronx !


C’est vraiment cette œuvre qui l’a fait connaître au public international, le film ayant bénéficié de la grosse campagne de pub de New Line et de Miramax, qui en ont finalement été les distributeurs. Et ils se sont assurés de vendre non pas seulement le long-métrage mais sa vedette : "Pour des millions de fans de par le monde, il est une légende vivante. Si vous ne l’avez encore jamais vu, vous ignorez ce qu’est l’action", clame ainsi la bande-annonce.
Et il faut dire que les deux studios ont réussi leur coup. Comme pour beaucoup, Rumble in the Bronx est le premier film de Jackie Chan que j’ai vu, et je pense c’est un des titres les plus appropriés pour découvrir sa filmographie, surtout si on est peu habitué au cinéma asiatique.
Les années 90 représentent une époque charnière dans la carrière de l’acteur, et comptent beaucoup de ses films que je préfère, puisque ceux-ci s’adaptent à un public occidental, sans pour autant aller à l’encontre de ce qui faisait la qualité des productions Hong-Kongaises.
Et un film comme Rumble in the Bronx représente pour moi le meilleur des deux mondes.


On y représente justement l’arrivée aux Etats-Unis de Jackie, ou plutôt de son personnage nommé Keung, qui lui aussi débarque de Hong-Kong et ne parle Anglais que depuis peu. Il s’imagine probablement goûter au rêve américain lorsqu’il a son premier aperçu de New York avec le quartier chic de Manhattan, mais doit bientôt faire face à la dure réalité : il se retrouve dans les rues mal famées du Bronx (enfin, en vrai, c’est Vancouver, comme en attestent à un moment les montagnes en arrière-plan). C’est là que se trouve le magasin de son oncle, que Keung vient assister. On retrouve alors Bill Tung, qui jouait un personnage récurrent dans les Police story, et était surnommé à chaque fois "Oncle Bill"… avant de jouer littéralement l’oncle de Jackie. C’est assez surprenant de voir le rôle comique qui lui est attribué ici, puisqu’il épouse une femme noire enrobée et limite hystérique ; personnage à travers lequel on perçoit l’influence des comédies ricaines.
Jackie quant à lui est fidèle à la figure qui a fait son succès, celle du type facétieux et insouciant, et avec lequel on a des gags tout aussi idiots, mais pour le coup typiquement cantonais (cf la scène de la vitre sans tain).


Pour l’acteur, ce n’est pas vraiment la première fois qu’il s’aventure aux Etats-Unis ; dans les années 80, alors qu’il devenait déjà une star dans son pays, la Golden Harvest avait essayé de le faire percer dans le cinéma US, mais en le faisant jouer pour des réalisateurs qui ne tenaient pas compte de ses particularités. Soit en le bridant dans son processus de travail (comme pour Cannonball run), soit en voulant le conformer à cette vision du héros Américain purement badass (The protector).
Dans Rumble in the Bronx en revanche, Keung est carrément d’une candeur qui lui est néfaste, puisque la racaille locale se sert à un moment de son sens de l'héroïsme pour lui tendre un piège.
Ces punks se rapprochent d’avantage de ces figures du cinéma d’action US : tout en roublardise et en force brute, ils saisissent également toute occasion de brandir leur flingue pour se faire respecter.
Il y a un aspect de série B Américaine, avec ces scènes over-the-top de fusillade en pleine rue, avec ce final riche en deus ex-machina, ces répliques un peu risibles, et cette vision fantaisiste des gangs New-Yorkais (on est quand même pas loin d’un délire façon Les guerriers du Bronx parfois, avec ce kart garni de guirlandes lumineuses).
C’est comme si le film adoptait pour l’occasion les codes du cinéma d’action local, surtout concernant le niveau de violence, qui dénote radicalement avec les productions Hong-Kongaises. Les méchants sont d’un sadisme étonnant, surtout pour un film supposément grand public. La scène avec les bouteilles, où le héros est à la merci de tous, a provoqué un choc chez l’enfant que j’étais lorsque j’ai vu ce film pour la première fois. Et tant mieux, c’est le genre de spectacle dont on garde le plus de souvenirs, et c’est une séquence traitée avec gravité, et non complaisance.
D’ailleurs même si l’intrigue secondaire avec l’enfant handicapé reste un peu bancale (quoique pas autant que la romance expédiée entre sa sœur et Jackie), le film a le mérite de prendre au sérieux ce traitement des soucis personnels des protagonistes, quitte à être limite niais plus d’une fois.


Mais au bout d’un moment, cette mentalité occidentale contamine le héros ; poussé à bout, il en vient à faire un bras d’honneur à ses adversaires ou à shooter dans la jambe un ennemi qui a du mal à cracher le morceau… ce qui est totalement insolite par rapport aux personnages habituels de Jackie.
Mais en fait, il fait ce qu’il a toujours fait : il s’adapte à son environnement, et en partant désavantagé, il finit par prendre le dessus. Comme c’est le cas lors de ses scènes de combats.
La star est connue pour son utilisation des décors et des accessoires, et nous fournit ici un excellent échantillon de tous ses talents : cascades, escalades, et combats, à chaque fois avec une dose d’inventivité. Du ski nautique, ok, mais sans skis (et tant qu’à faire, tournons en hiver).
Heureusement que le réalisateur est un Hong-Kongais, qui applique du coup le processus de tournage auquel il est habitué, laissant tout le temps qu'il faut pour soigner une séquence de combat.
Celle dans le squat en particulier (qui a pris 20 jours à filmer) est magnifique, c’est un parfait exemple de ce qui fait l’originalité de l’action chez Jackie Chan : c’est fluide, lisible et dynamique, et ça allie une sacrée performance physique à un usage étonnant de tout l’environnement. Le rythme soutenu rend les cascades plus impressionnantes, en même temps qu’il donne un fort impact comique à chacune des trouvailles qui s'enchaînent.
Jackie se bat avec un frigo, une veste, un fauteuil, … il passe à travers un caddie de supermarché, plutôt que de le pousser ; c’est peut-être pas cohérent, mais bon sang, ce détail m’ébahit en même temps qu’il me fait éclater de rire, à chaque fois que je le revois.
Et puis quelle autre vedette du cinéma d’action se brise une cheville et finit son film, même avec un plâtre ?
Jackie Chan est le seul à faire ce qu’il fait, et évidemment au final, c’est lui qui l’emporte ; il a le vrai talent, alors que ses rivaux s’appuient sur leurs armes à feu, leur paire de biceps, et leur grande gueule. Aussi bien dans ce film-ci que dans le milieu du cinéma d’action, j’entends.


Que Jackie Chan bénisse cette œuvre, pour l’avoir fait connaître au grand public ; il était grand temps.
Rumble in the Bronx a ses défauts, c’est un film un peu bête, dont l’absence absolue de temps mort participe à rendre des évènements saugrenus tant ils sont expédiés, mais quel excellent divertissement !
L’affection que je lui porte est en partie liée au fait que je l’ai vu tout jeune (et des répliques toutes simples comme "mon oncle !" ou "on dirait que c’est un quartier chaud ici !" sont restées dans ma mémoire), mais même plus globalement, il n’y a aucune autre personnalité du cinéma qui me fait afficher un sourire béat à chaque fois que je repense à son œuvre globale. Pas juste un film en particulier, mais l’ensemble de ce que Jackie Chan a fourni au cinéma d’action ; une cascade de tel film, une de tel autre, qui me reviennent à l’esprit et qui me font dire "putain… ce mec c’est Dieu".


Bref, voyez du Jackie Chan.

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le 3 sept. 2016

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Wykydtron IV

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