Cannes, en mai 2002, et sa polémique, n'aura retenu que la supposée crasse et la nausée, ta provocation un brin adolescente, et ses quelques bien pensants endimanchés qui ont feint l'indignation et l'évanouissement sous les yeux d'une presse complaisante. Sûr que tu devais jubiler, ce soir là, contrairement à l'un de tes producteurs qui, d'après la légende, aurait découvert durant la projection que tu avais rajouté en CGI le sexe de l'agresseur.


Gaspar, tes détracteurs les plus fervents et acharnés jugeront surement que ton brûlot ne vaut pas ce modeste avis. Tant pis.


Je n'avais pas vu ton Irréversible de manière attentive depuis que je l'avais découvert au cinéma, il y a quinze ans. Déjà. En plus de tout détruire, je constate que le temps, aussi, passe trop vite. Tu as beau avoir décidé de le briser, en montant à l'envers ton histoire, qui n'est pas sans rappeler la trame générale d'Un Justicier dans la Ville, Irréversible porte bien son nom, puisque le destin des personnages semble joué d'avance. Tu mets d'ailleurs dans la bouche de la sublime Monica un rêve de tunnel baigné de rouge qui a tout du prémonitoire, avant de la faire parler de destin à travers un film qu'elle a vu.


Le spectateur, lui, pourra penser que son destin était précipité le jour où elle a préféré Vincent à Albert, le fantasque drogué récréatif et surtout coureur au classique prof rangé un peu ennuyeux. Mais qui est resté un bon ami. Celui qui tient la chandelle et nourrit encore, à l'évidence, des sentiments amoureux de ceux que l'on garde toute sa vie.


La controverse n'aura donc conservé d'Irréversible que le jugement de barbarie et de complaisance de ses deux scènes choc, qui ressemblent chacune à une descente aux enfers. Celle d'Eurydice, en ligne droite, insoutenable et abjecte. Encore plus quand une ombre se dessine, avant de tout simplement fuir au lieu d'intervenir. Celle d'Orphée, ivre de rage, dans une odyssée labyrinthique, en forme de sommet d'une ultra violence frontale et sans retour.


Elle n'aura ainsi gardé en mémoire que l'errance convulsive et presque déstructurée dans les rues glauques des bas fonds, la naissance du sentiment de vengeance sauvage et incontrôlable, cet extincteur qui écrase littéralement un visage, celui de cette victime qui n'est pas le coupable. Et aussi ce viol des plus barbare et déchirant. Mais elle se sera malheureusement arrêtée à cette représentation de la violence, faisant tout simplement l'impasse sur ce qu'elle détruit et ce qu'elle souille.


Elle n'aura conservé pour ses bonnes feuilles que le cheminement logique et séminal d'une certaine animalité, des instincts primaires. La controverse n'aura pas vu la route que tu as fabriqué en brisant la ligne de temps de ton récit, celle d'un certain apaisement. Celui illustrant l'amour, la complicité et l'intimité déployée d'un couple de cinéma incroyablement beau et magnétique qui se confondait, à l'époque du film, à celui qui unissait la divine Monica et le charismatique Vincent à la ville.


Irréversible, Gaspar, au delà de la violence dont tu éclabousses la pellicule comme un enfant turbulent qui sauterait avec plaisir à pieds joints dans une flaque d'eau, c'est d'abord ce couple et tout ce qu'il représente de promesses, comme cette scène finale aérienne où Monica est entourée d'enfants. D'attirances charnelles, de tensions aussi. Et tout ce qu'il y a de plus beau et que le temps s'acharne à faner ou, comme dans ton effort, à détruire.


Hier soir, au delà de l'indicible et du choc renouvelé, Irréversible m'a fait renouer avec les sentiments que j'éprouvais à la sortie de la salle. La tristesse d'avoir assisté à la destruction, à l'anéantissement d'un couple. De l'avoir vu littéralement de fracasser, se perdre dans un déchaînement, une tragédie tout simplement humaine.


Behind_the_Mask, in bed with Monica.

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le 19 juin 2017

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