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Par le pouvoir de l'Antifa avec Batte primordial

(spoiler warning : le film étant sorti il y a 14 ans et de renommée mondiale, je ne vais pas m'encombrer de balises)

C'est de n'avoir pas pu m’empêcher de mentionner Hans Landa, le personnage d'officier nazi cultivé incarné par Christoph Waltz, dans une critique du (bien plus historique, austère et sérieux) film La Conférence de Matti Geschonneck qui m'a donné envie d'en rédiger une d'Inglorious Basterds, qui mériterait d'être vu ne serait ce que pour ce personnage archétypique, qui est à mon avis celui qui, de toute l'histoire du cinéma, incarne le mieux toute l'horreur du nazisme (voire par extension des criminels de masse européens/occidentaux en général, comme les coloniaux en particulier - si la courte apparition du colonel Reginald Dyer joué par Edward Fox dans Gandhi lui ferait une solide compétition à ce dernier niveau).

Comme je le résumais par le titre de ma critique sus-citée, Landa est pour moi le visage de la civilisation au service de la barbarie.

... Et c'est exactement de l'opposition entre la civilisation au service de la barbarie et la barbarie au service de la civilisation (qu'incarnent ses héros), dont parle ce film, qui pour moi (de même que Django du même) porte une vraie réflexion sur le sujet de la violence, bien plus qu'il ne serait qu'un prétexte pour en montrer (comme le reprochent à Tarantino ceux qui à mon avis le comprennent le moins bien).

Pour leur défense il donne évidemment l'illusion de, voire revendique parfois carrément (ne semblant pas trop pressé d'assumer tout ce que disent ses films), n'être qu'une espèce d'adolescent iconoclaste semblant plus passionné de faire mumuse avec ses références cinéphiliques en tout genres (et surtout venues de ce cinéma) fut ce avec génie que de porter des messages, d'être un cinéaste qui ne serait que peu politique, plutôt l'opposé des réalisateurs engagés tels qu'on se les imagine.

Pourtant, si on lit Inglorious Basterds autrement, en particulier en se rappelant de certains engagements de Tarantino dans sa vie réelle* on peut le voir comme un film portant une réflexion éminemment politique, posant à la fois la question de la violence (des deux types de violence, celle des dominés et des dominants) et y donnant sa propre réponse, non sans pousser le spectateur à la questionner aussi.

* (bien avant que ce soit tendance, dès l'affaire Trayvon Martin, c'était par exemple une des toutes premières célébrités à apporter activement son soutien à BLM, allant jusqu'à justifier la violence des émeutes d'alors, y voyant de légitimes représailles au racisme de la police ; et plus récemment on le vit plusieurs fois rappeler qu'il se situait du coté "it's ok to punch nazis" du récurrent débat américain sur la question, en résumé s'il fallait le situer politiquement c'est un anti-fasciste de la tendance dont aiment le plus se terrifier les réactionnaires qui réalise ici le film où en apparait la représentation la plus archétypale)

J'ignore si l'expression "antifa avec batte" a beaucoup franchi les frontières de la francophonie (ou même en son sein de quelques forums politiques où des gens rarement gauchistes aiment les utiliser comme épouvantails), mais je n'en suspecterais pas moins Quentin de l'avoir déjà entendue, quand il décida d'y faire directement référence via l'armement de "l'ours juif", ce personnage peu bavard incarnant la quintessence de l'antifascisme avec batte, le retour de bâton pourrait en dire, où la violence, dans tout ce qu'elle a de plus primaire, barbare, dans une absence de nuance presque aveugle, devient l'outil de la revanche des opprimés face aux oppresseurs.

Et c'est bien ce type de violence que tout le film célèbre, tandis qu'il l'oppose à la froide, feutrée, calculatrice, cynique, civilisée violence des dominants représentés par Hans Landa (qui dans Django quelques années plus tard sera également incarnée par le personnage joué par Di Caprio ; tout son message est quelque part dans l'antifasciste décidant de tirer sur le raciste, si civilisé qu'il se montre, plutôt que d'accepter la souillure de lui serrer la main).

Message (ou interrogation de celui ci ?) qu'il pousse encore plus loin dans Inglorious Basterds avec la scène de torture finale devenue célèbre, dont on pourra éternellement se demander si elle est censée être pour lui un moment de "fist pumping", une catharsis finale pour le spectateur, où une manière de le forcer à se questionner (que ce soit sur la violence elle même, ou encore plus subtilement sur notre plus facile acceptation de la violence "civilisée" que "barbare").

Je ne sais pas vous, mais moi, j'ai beau savoir que c'est un nazi, et peut être pire encore qu'un nazi du fait qu'il a soutenu Hitler par cynisme plus qu'aveuglement idéologique, j'ai beau connaitre ses crimes passés, j'ai beau l'avoir vu plusieurs fois tomber le masque et se livrer à des actes aussi sauvages que ceux des "gentils" dans le film, j'ai beau parfaitement réaliser que la volonté de le marquer à vie soit totalement justifiée (du fait de tous ceux qui ne le furent pas et dont on connait l'histoire) ... Malgré tout ça cette scène a du mal à passer pour moi.

Et je n'y vois pas trop de raison (sachant que je n'ai eu de telle difficulté à voir dans les précédentes les antinazis bruler vivants des nazis par dizaines, ou l'ours juif broyer de sang froid les têtes de prisonniers) autre que ce qu'est parvenu à incarner Hans Landa, ce personnage qu'on a vu tant parler et nous donner des exemples de sa culture comme de ses bonnes manières d'homme du monde. Alors qu'il promet en plus maintenant de mettre ses talents au service du bon camp, comment résister à l'envie d'oublier quelques détails de son passé ? Et comment souscrire à la "barbarie" surtout de mutiler au couteau un tel gentleman ?

Quelque part c'est un film assez terrible parce qu'il fait réfléchir le spectateur (a priori plutôt occidental, civilisé comme ça se disait au temps des colonies) non seulement à la violence mais à l'arrivée sur lui-même, ce qui peut le pousser à en tolérer une et à en rejeter une autre (sujet ô combien d'actualité quand on pense à certain conflit récent).

Pour le coup, tout à mes réflexions sur son message, j'aurai très peu parlé du film. Je dirais hors de cet aspect c'est un Tarantino plutôt juste dans sa moyenne (d'où mon 7), avec évidemment des dialogues brillants, mêlant comique et dramatique, enrobés de beaucoup de suspense, et quelques scènes d'action très bien tournées, mais auquel manque pour moi la petite étincelle qui fait ses plus grands films.

A l'opposé de Waltz que je trouve magistral, ou de plusieurs autres personnages secondaires (entre autres la rescapée vengeresse jouée par Mélanie Laurent, ou l'actrice espionne par Diane Kruger), je ne trouve pas que celui de Brad Pitt (et/ou son interprétation ?) apporte grand chose à ce film, l'acteur ne me semblant pas le plus indiqué pour le mélange de verbalisation et de comic relief dont il est chargé (et qui ne lui permet pas vraiment de faire émerger son personnage des autres basterds dont il se retrouve généralement à être la voix ; si l'ours juif et autres avaient plus de répliques plutôt que de le voir généralement s'exprimer pour eux il ferait carrément double emploi).

Après être dans la moyenne de Tarantino, est déjà à l'opposé d'en faire un mauvais film.

Puis si ça se trouve c'est justement la dernière scène, ne parvenant à m'en faire sortir qu'avec une impression un peu désagréable qui me le fait juger un peu inférieur à ses meilleurs... justement car elle est brillamment pensée pour tendre un miroir au spectateur (et quelle que soit sa réaction à celle ci).

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