L'Appel de la forêt

En plein confinement, Ben Wheatley a réalisé un rêve que beaucoup de monde ne pouvait se permettre : aller se dégourdir les jambes au fin fond des bois ! Pour se faire, il a tout simplement coché la case "Tournage de film" de son attestation de sortie et il est revenu de sa longue ballade avec un nouveau long-métrage dans sa besace : "In the Earth".
On imagine un film tourné dans des conditions forcément drastiques (aussi bien termes de budget que de marges de manœuvre réduites en ces temps de pandémie) mais qui, quelque part, fait également figure de retour aux sources vers le meilleur des petites productions à l'atmosphère étrange du début de carrière du cinéaste.

Dans un monde atteint d'une épidémie très proche du Covid (une troisième vague est seulement évoquée en plus des masques et des tests à l'écran), un chercheur et une garde forestière s'aventurent en pleine nature dans le but de retrouver une autre scientifique et étudier des réseaux mycorhisiens atypiques (des systèmes de champignons reliés entre eux sous terre) et potentiellement bénéfiques pour le rendement des cultures humaines.
S'enfonçant toujours plus loin dans la forêt où, selon la légende, une entité ne voudrait pas que du bien à ceux qui s'y aventurent, ils sont soudainement agressés au milieu de la nuit...

Une virée à deux dans une forêt éloignée de toute civilisation, les avertissements de ceux à la lisière en amont, un bon vieux mythe païen des familles, des traces d'un campement sans aucun signe de vie... Les prémices de "In the Earth" ont tout du cauchemar sylvestre espéré en posant les jalons d'un schéma horrifique on ne peut plus familier. Un schéma dont Ben Wheatley va évidemment vite dévier, comme à son habitude, pour tenter de proposer quelque chose de bien plus insolite...

Dur d'entrer dans les détails de "In The Earth" sans le trahir mais disons que son duo de héros va être tour à tour confronté à une optique fanatique puis à une autre scientifique sur un phénomène extraordinaire, le tout dans un registre où le survival côtoie une forme de trip immersif, très proche de l'esprit de certains films des années 70 de la folk-horror en faisant intervenir visuellement l'influence ésotérique d'une force bien au-dessus de l'Homme.
Le moment où il devient clair que le film sort des rails d'un simple "Blair Witch" bis va bien sûr avoir l'effet déstabilisant escompté et nous interroger un bon moment sur ce qu'il veut réellement nous raconter mais, dès que ses plans cherchant à opposer l'irrationnel au rationnel sous couvert d'un but plus grand vont se dévoiler, "In the Earth" va ressembler à un millefeuille à la composition inégale et, où, on le suppute fortement, tout ne s'appréciera pas de la même façon selon la sensibilité du spectateur.

À son crédit, Ben Wheatley parvient à nous prendre au piège de son ambiance oppressante, exaltant la fascination qu'exerce le mystère du phénomène sur les humains tombés sa coupe, la seconde partie en devient même d'autant plus forte par la montée en puissance du sentiment d'enfermement que subissent les personnages par la force environnante. Seulement, en termes de manifestations plus frontales, le cinéaste se perd dans des effets de style de plus en plus agaçants sur la durée, notamment stroboscopiques, qui nous plongent dans un état plus proche de l'épilepsie que du délire psychédélique voulu.
Il en va de même sur le fond : le discours global du film s'avère des plus pertinents en déplaçant nos questions sur notre avenir en temps de pandémie via une entité primaire qui s'interrogerait elle-même sur son devenir en (mauvaise) compagnie d'humains dépourvus de la bonne boussole pour la comprendre. Mais, si la construction en double point de vue est plutôt habile pour la traduire, sa portée s'en retrouvera finalement et étonnamment assez limitée, d'abord par un twist pas si malin que voulu car auguré par de nombreux parallèles et de petites répliques jamais anodines, puis sur le rôle prévisible que chacun des personnages tiendra dans les derniers instants une fois le climax passé (se voulant abrupte et ouverte pour conserver une aura de mystère, la fin n'arrivera pas vraiment à nous convaincre que tout n'était déjà pas joué d'avance).

En définitive, le bon air de cette promenade en forêt a sûrement fait du bien à un Ben Wheatley parti se ressourcer aux fondamentaux de son œuvre ! Dans le panier de champignons hallucinogènes qu'il en a ramené, on sera tombé sur quelques spécimens faisant joliment leurs effets le temps de l'expérience, nous rappelant ce que le cinéaste sait faire de mieux, mais l'ensemble laissera tout de même un arrière-goût de qualité trop aléatoire pour faire de "In the Earth" un film majeur.