Attention : le texte qui suit dévoile l'intrigue


Sorti en 1992, Impitoyable possède deux facettes, la première évidente, la deuxième ne se dévoilant réellement qu'à la fin du film. Tout commence lorsqu'une prostituée se fait défigurer par un client dans une petite ville du Wyoming. Le shérif intervient, mais devant la légèreté de la peine (octroyer sept chevaux au proxénète), les prostituées décident de mettre à prix la tête de l'agresseur et de son complice.



La désacralisation du bandit charismatique



C'est alors qu'entre en scène Munny, incarné par Clint Eastwood. En général, quand on associe Eastwood au genre du western, on pense immédiatement à la trilogie de Sergio Leone et à son héros classe malgré sa part de noirceur – comme pour beaucoup d'autres rôles d'Eastwood en dehors du western, par ailleurs. Ici, c'est tout le contraire : Munny est un ancien bandit qui s'est rangé et élève seul ses deux enfants depuis la mort de sa femme, et il n'a rien de classe. Pire : lorsqu'il décide de reprendre du service pour toucher la récompense dont il a le plus grand besoin, c'est à peine s'il sait encore monter à cheval, à la plus grande honte de son fils.


Munny, donc, part en chasse, accompagné de Ned (Morgan Freeman), vieux camarade à peine plus frais que lui, et du "Kid de Schofield" (Jaimz Woolvett), un wannabe Billy the Kid bigleux et grande gueule. Le dernier est fasciné par la renommée du premier : n'a-t-il pas été le hors-la-loi le plus craint de la région ? Une fine gâchette qui s'est sorti sans égratignures de fusillades à dix contre un ? « Bien sûr ! », confirme Ned. « Peut-être », tempère Munny. Il ne s'en souvient pas, il était ivre la plupart du temps.


Ils parviendront néanmoins à abattre leurs cibles, misérablement, en s'y reprenant à plusieurs fois, sans honneur ni gloire. C'est la fin du glamour associé à la vie de hors-la-loi.



Pour faire le bien, un homme doit être capable de faire le mal



En face, nous avons Little Bill (Gene Hackman), le shérif de la ville. Shérif efficace, quoique violent et semblant préférer l'ordre à la justice : lors de la mise à prix des délinquants du début, il prend des mesures drastiques – confiscation de toutes les armes dans l'enceinte de la ville – et flanque une raclée à English Bob (Richard Harris), une terreur de la région. Little Bill n'a pas peur. C'est que Little Bill, comme Will Munny, est un ancien tueur – un tueur qui a mieux réussi sa reconversion. Il est toujours craint et respecté, seulement il est à présent du côté de la loi.


De par sa position, il ne peut évidemment pas accepter que l'on tue deux citoyens pour une somme d'argent et donne immédiatement la chasse à Munny et ses comparses. Ses hommes trouvent l'infortuné Ned, alors qu'il rentrait chez lui après avoir jeté l'éponge : il meurt sous les coups du shérif qui veut lui faire dénoncer ses complices. L'apprenant, Munny se saoule, et trouve ainsi le courage de venger son ami. C'est dans le saloon du proxénète, où le shérif et ses hommes fêtent leur prise, qu'il aura son quart d'heure de gloire, comme au bon vieux temps... mais sous l'emprise de l'alcool, comme au bon vieux temps.


On pourrait reprocher cette scène où un homme seul contre dix autres, dans une petite pièce, parvient à l'emporter sans une égratignure. En fait, elle est préparée (justifiée ?) par une remarque de Little Bill au détour d'une conversation, au milieu du film : être le plus rapide ou le plus talentueux pèse peu si l'on manque de sang-froid. Or les hommes du shérif, dans la panique et connaissant la réputation de leur adversaire, s'emmêlent les pinceaux et manquent leur cible. (Je serais plus circonspect sur la scène expéditive où Munny descend une bouteille d'alcool quand on lui annonce la mort de Ned...)


Puis Will Munny quitte la ville, par une nuit d'orage, en lançant cet avertissement :



You better bury Ned right ! You better not cut up nor otherwise harm no whores ! Or I'll come back and kill every one of you sons of bitches.



On apprendra dans l'épilogue qu'il a déménagé avec ses enfants grâce à la récompense et est redevenu un paisible père de famille.


Ainsi, les deux représentants du "bien" – Little Bill pour l'ordre, Will Munny pour la justice – sont-ils incarnés par des hommes ayant commis des actes de violence et prêts à les commettre à nouveau si nécessaire. Bien sûr, les guillemets sont de rigueur, les personnages étant ambivalents : « le shérif maintient l'ordre, mais avec violence » est aussi vrai que « le shérif est violent, mais il maintient l'ordre ». De même, que penser d'un homme qui rend la justice en massacrant une poignée de personnes ? Mais cela n'invalide en rien la leçon de cette histoire : on ne craint pas un pacifiste.

Maître_Grenouille
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le 12 avr. 2019

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