Mention : Didactique

Quel sujet ! Hollywood a la fâcheuse manie d'explorer le passé pour nourrir son industrie. Parmi les histoires dans l'Histoire, celle d'Alan Turing est plus qu'intéressante. Le film met les formes pour raconter ce récit, là est le problème. Pas besoin de souligner la tournure intolérable des faits. Ils parlent d'eux même, et les relater avec neutralité aurait été tout aussi éloquent. La biographie écrite par Andrew Hodges, ou même un éventuel documentaire, semblent plus légitimes. Aucun besoin de fioritures pour faire passer le message. Et pourtant "Imitation Game" en abuse. Musique, surjeu et conclusion pleine de morale, tout y est.

Le génie et la dévotion d'Alan Turing sont fabuleux. Parcours hors norme dans son exemplarité. Une tournure de l'Histoire absorbante. C'est une aventure extrêmement riche. Celle d'un héros de guerre et père de l'informatique.
Une détermination doublement remarquable. En plus de résoudre le plus grand conflit de notre ère, il va guider la génération suivante vers l'incommensurable avancée technologique que l'on connait; tout cela dans un contexte de vie personnelle considérablement compliqué. Un récit mémorable par sa singularité et naturellement cinglant.

L'erreur majeure du film est de se construire sur un scénario usuel qui ressasse les codes du biopic. Parcours d'un jeune prodigue esseulé, bizuté, ridiculisé qui deviendra une légende, une icône. "Imitation Game" s'alourdit de flashbacks et de voyages temporels. En se concentrant sur une partie de la vie d'Alan Turing, le film aurait gagné en simplicité sans perdre de son fond. Il est vrai que cette vie est pleine d'éléments fascinants, éloquents. Peut-être que le rôle du cinéma n'est pas d'être informel quand il s'empare de faits réels. En tout cas la discontinuité du récit n'apporte rien d'autre que de la lourdeur.

"Imitation Game" s'appuie sur une autre forme de récit éculé à Hollywood, la fresque historique moderne. Ce formatage donne un goût industriel à tout ces films qui rentrent dans le moule de la machine à Oscars. De fait ces reconstitution ne sont que très rarement crédibles ou probants. C'est plutôt une pleine exubérance complètement détachée de toute vraisemblance (Tarantino) ou un extrême sobriété (Argo) qui fonctionne. Du reste c'est souvent moralisateur et didactique.
Jusqu'à son discours final, le propos est bien trop évident. Au départ la musique d'Alexandre Desplat est un joli accompagnement, puis ça devient un vecteur d'émotions fatiguant. Ce qui est regrettable c'est que ces effets nous disent à quel moment s'apitoyer sur le sort d'Alan Turing. C'est d'autant plus consternant que cette histoire touche naturellement.
Pour l'intrigue c'est tout aussi dégradant. La stratégie de guerre pour les nuls. Ou, comment prendre le spectateur pour un imbécile en lui expliquant (indirectement) ce qui va de soi.

Autre sujet important de cette histoire de vie, le progrès technologique. Le traitement est très simpliste et succinct. C'est peut-être préférable au vu de l'opulence du reste du film. Ce n'est pas non plus une thématique qui semble facilement se prêté au cinéma. On le voit sur "Social Network" qui trouve un intérêt en s'appuyant sur l'aspect humain que traverse la révolution technologique.

Le film ne tombe malgré tout pas trop dans le manichéen, grâce à son acteur principal. Benedict Cumberbatch est excellent. Passionné et cynique il incarne un Alan Turing attachant et drôle. Sa complicité avec Keira Knightley est franchement convaincante. Ce duo trouve quelques beaux moments de sincérité, en particuliers la scène de où Turing révèle son traitement à Joan. En second plan, Matthew Goode a toujours quelque chose de fascinant dans sa posture.
Il faut quand même noter que par passages le casting participe aux fioritures du film et frisent le surjeu.

Loin d'être un film ennuyeux de piètre qualité;
"Imitation Game" est un projet trop ambitieux ou au contraire trop académique. Le film n'arrive pas à donner un sens à la retranscription. Il se contente de la relater les faits en appuyant avec insistance sur les points sensibles et consternant du dossier. Plus pragmatique et plus épuré, le film serait probablement plus sensible. En plus du sujet technique, le film passe aussi à côté de la véritable tragédie de ce destin. La dite scène de révélation entre Cumberbatch et Knightley est poignante, et ça aurait fort de voir cet horrible effondrement d'un future mythe.

Note : 10 / 20
adamkesher01
5
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le 3 févr. 2015

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Adam Kesher

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