Les triomphes populaires rendent toujours les « vrais » cinéphiles circonspects, surtout en France où un certain mépris a toujours régné de la part de l’intelligentsia parisienne vis à vis du « peuple » toujours prompt à se laisser manipuler par des films « faciles ». Et lorsqu’on parle d’un film ayant fait 5 millions d’entrée en Italie, pays que la critique française considère comme « sans culture cinématographique » depuis les années Berlusconi, il était prévisible qu’une certaine frange de la critique tire à boulets rouges sur Il reste encore demain, qui plus est réalisé et interprété par une « vedette » aimée du public italien, Paola Cortellesi.

Là où l’exercice de la descente en flammes critique devient difficile, c’est quand le film véhicule une critique virulente du machisme italien, ce véritable terrorisme basé sur les valeurs familiales traditionnelles et sur la religion catholique, ainsi qu’une dénonciation des violences conjugales. Oui, il est impossible de ne pas adhérer à cette critique très dure de l’horreur au foyer, inhérente aux principes de soumission de la femme aux diktat de son mari, et à cette célébration des avancées démocratiques vers l’égalité des deux sexes (ici, le droit de vote accordé aux femmes après la fin de la seconde guerre mondiale et la déroute du fascisme). On peut aussi considérer, au vu du succès du film dans son pays d’origine, que les Italiennes et les Italiens (au moins certains) considèrent que le combat n’est toujours pas gagné, voire même que la présence de l’extrême-droite au gouvernement marque la menace d’un recul.

Le problème est que, même si l’on passe un excellent moment devant Il reste encore demain – on rit, on pleure, on enrage, on exulte au premier degré, comme devant du bon vieux cinoche, efficace et revigorant -, la débutante Paola Cortellesi tend les verges pour se faire fouetter : la liste des maladresses du film est longue, et ouvre un boulevard à ceux qui détestent le « cinéma populaire ». La reprise des codes du néo-réalisme peut certes servir à conférer au film une certaine crédibilité par rapport à la période où il est sensé se passer (après tout, pourquoi pas ?), mais le recours régulier à une syntaxe qui est plutôt celle de la grande comédie italienne des années 60-70 sape le travail « esthétique ». Le choix de débuter le film dans un registre outrancier, presque caricatural, aura en outre pour effet de faire fuir le spectateur goûtant plutôt la subtilité dans la dénonciation : c’est d’ailleurs dommage, car le film, peu à peu, corrige sa trajectoire et gagne en complexité… certainement trop tard pour rattraper ceux que sa première partie aura hérissé ! Quant au choix de représenter la violence comme un pas de danse à deux, il ouvre un abîme de confusion en sous-entendant une possible complicité de la victime dans l’agression dirigée contre elle…

Enfin, le scénario manipulateur – entre la participation peu crédible du soldat US à la machination de Delia pour mettre à jour l’hypocrisie de la future belle-famille de sa fille, et surtout le twist final (qu’on ne révélera pas ici) – a pour effet de rendre le propos du film beaucoup moins sympathique qu’il devrait l’être… Au point que la dernière scène, que l’on comprend certes comme un message clair aux hommes (« nous chanterons même si vous nous fermez la bouche »), peut aussi être lue à l’opposé comme un encouragement à la résignation plutôt qu’à la révolte.

Bref, même si l’on passe, en toute objectivité, un excellent moment devant Il reste encore demain, peut-être que le meilleur du film se trouve dans le débat qu’il provoque : un débat aussi sociétal que cinéphilique.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/03/31/il-reste-encore-demain-de-paola-cortellesi-la-bouche-fermee/

EricDebarnot
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le 31 mars 2024

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Eric BBYoda

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