L'attitude de Joan Crawford est le point névralgique de "A Woman's Face", conditionnant presque entièrement la réception du film. Au centre de ce qui s'amorce comme un film de prétoire, elle atténue cette forme qui paraît dans un premier temps quelque peu rigide, avec ce schéma classique des décennies 40/50 qui voient défiler devant juges et jurés les différents personnages avec à chaque fois, de manière métronomique, un flashback éclairant un petit bout de l'histoire.


Soit donc l'histoire d'une femme défigurée par une cicatrice imposante qu'elle porte sur le côté de son visage — à l'origine de de nombreuses dispositions de mise en scène, pour la dissimuler, pour la mettre en exergue, ou pour générer un effet de surprise. Assez vite, on comprend que Cukor nous invite à penser que cette tare physique est à l'origine de son comportement extrêmement méprisant, elle qui fait partie d'une petite bande de maîtres-chanteurs prête à se compromettre dans toutes les formes d'extorsion. Au détour d'une péripétie légèrement tirée par les cheveux, elle se retrouve nez à nez avec un chirurgien esthétique animé par une grandeur d'âme exceptionnelle qui lui propose de lui reconstituer un visage normal. Suite à l'opération, la protagoniste pourra enfin entrevoir le début d'un vie nouvelle, marquée du sceau de la normalité, tout en étant encore hantée par les errements de sa vie passée.


C'est là que s'immisce une certaine faiblesse d'écriture : le personnage masculin qui avait su la séduire par son absence d'aversion pour sa difformité se transforme très soudainement en un monstre cupide et manipulateur. Le renversement de perspective est intéressant, car une nouvelle lecture de sa non-répugnance est alors possible (il aurait pu tout manigancer depuis le départ, avec pour dessein d'utiliser la faiblesse de cette femme pour en faire une meurtrière et s'assurer par là même un héritage conséquent). Mais le changement de psychologie chez cet homme est aussi brutal que l'apparition magnifique de la beauté de Joan Crawford. Ce glissement inquiétant ne se révèle pas aussi riche que ce que son potentiel laissait supposer, loin de la complexité et de l'ambiguïté de l'héroïne. Même chez cette dernière, une fois passée la surprise de la faiblesse qu'elle témoigne lorsque un homme manifeste, pour la première fois, autre chose que du dégoût à son encontre, on pourrait identifier une case un peu restrictive. Un petit coup de bistouri et la voilà transformée en une personne fabuleuse, le corps, le cœur et la psychologie tous les trois soignés en un même mouvement.

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le 25 janv. 2020

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Morrinson

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