Avertissement : le film étant pornographique, la critique qui suit sera également très explicite. Le film étant concentré sur une communauté LGBT (et même seulement gay), le vocabulaire employé fera également référence à ce milieu.


Je suis allé voir I Want Your Love sans trop savoir à quoi m'attendre. J'étais à Nice, je voulais aller au cinéma voir un truc qui ne passait pas partout, rattraper mon retard sur les "petits films". Je vois une séance pour ce film d'à peine plus d'une heure, sur un synopsis très LGBT friendly, je n'ai pas cherché à voir plus loin. Peut-être aurais-je dû.

Réalisé pour la somme ridicule de 80.000$, ce film tourné avec les moyens du bord (une petite caméra numérique, de toute évidence), a en effet la particularité d'aborder frontalement la sexualité gay - et la sexualité tout court. En minutes de film on voit déjà un homme éjaculer après une scène de fellation. Il est à ce titre remarquable que dans le cinéma d'auteur gay de ces dernières années on assiste de plus en plus fréquemment à ce genre de scènes explicites : récemment on voyait la même chose dans le génial L'Inconnu du Lac. Mais I Want Your Love va plus loin et en fait le concept même du film : exit l'histoire (un jeune artiste homo de San Francisco va quitter ses amis pour se ressourcer à la campagne, on suit sa trajectoire sur les deux derniers jours avant son départ), bonjour la description naturaliste, frontale et quasi documentaire de la vie sexuelle de tout ce microcosme.

C'est ce que le film a de plus intéressant et original à montrer : on voit de tout, sexes en érection, éjaculations, fellations, sodos, anulingus, etc. Mais au-delà de la diversité des pratiques et de l'exhaustivité des scènes, on assiste surtout à un projet de dé-spectacularisation du porno. C'est cela que j'apprécie dans la crudité du film : les physiques des acteurs (qui jouent tous sauf un, le quadra, leur rôle dans toutes les scènes) sont banals : on a un petit hispano "passif agressif" pas franchement mignon ou bien monté, dont la pilosité pubienne est éloignée des standards actuels du genre. Son mec est un bear sympathique dont le corps est filmé sans mépris ni hypocrisie. Le personnage principal est un type tout ce qu'il y a de plus ordinaire et le black de service n'est pas monté comme un âne non plus. Sur ce point, le film se joue des clichés, et réussit à montrer de manière crédible une sexualité particulière (celle des gays) comme tout à fait saine et normale : les personnage se protègent et la capote n'apparaît pas comme par magie (quand le black décide de retourner le petit blond, un peu surpris mais amusée, on le voit enfiler le préservatif). Le naturel de telles séquences est désarmant.

Pour le reste, le film oscille entre dialogues percutants et plutôt drôles (le black est hilarant), moments un peu gênants ou vulgaires (toujours le black et son monologue sur les morpions), description d'un milieu donné (les bobos artistes du quartier gay de San Francisco, leurs soirées, leurs déboires) et flottements. Le bât blesse alors un peu, le film ratant souvent le potentiel évanescent d'un tel sujet pour ne montrer que ce qui commence à devenir des banalités dans le cinéma d'auteur gay : les films se suivent et se ressemblent, toujours des histoires au minimum mélancoliques et souvent déchirantes de séparations, de tromperies, de départs... On pense aux récents et plus réussis Week End ou Keep The Lights On, ainsi qu'à quelques autres films comme Hors les Murs ou Sur le chemin des dunes. La systématisation des sujets, étriqués, dans ce cinéma de "sous-genre" qui se dessine commence à me fatiguer un peu, et je préfère l'audace et l'imagination de métrages comme Les Invisibles, L'inconnu du Lac (cocorico) ou dans un genre un peu plus "pansexuel", Kaboom. On regrettera aussi le côté "communautariste" du film, qui décrit un monde restreint et des physiques types (tous percés ou tatoués) qui sont certes nombreux mais ne font pas la majorité de la population homo. J'avais un peu l'impression de voir un semi-documentaire sur des hipsters gays. La partie documentaire / autofiction est plaisante mais elle ne fait pas tout et le film est essentiellement nombriliste et dramatiquement vain, bâclé.

Reste un film plaisant, paradoxalement mou et ennuyeux par rapport à sa courte durée, courageux sur les questions de la pornographie au cinéma. La scène du plan à trois est très réussie, le plan étant filmé comme une rivalité latente entre le passif "agressif" et le membre rapporté, tournant évidemment à l'échec. Le naturel des situations rappellera sans doute du vécu à bon nombre des spectateurs, mais on peut se poser la question du public d'un tel film : il faut être vraiment ouvert d'esprit pour aller sciemment voir un porno gay au cinéma. On appréciera aussi la musique des Chromatics, dont une chanson (géniale au demeurant) donne son nom au long métrage.

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le 27 juin 2013

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Krokodebil

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