Lassé du système hollywoodien et des multiples concessions que son rouage exige, Nicholas Ray accepte un poste d'enseignant au Harpur College, dans l'État de New York. Durant l'hiver 1972-1973, il tourne un film expérimental avec ses étudiants, basé sur leurs expériences personnelles et sans aucun scénario à l'appui. Sous les regards du futur producteur David Helpern et de son ami James Gutman, I'm a Stranger Here Myself est une sorte de making-of avant-gardiste (saupoudré de passionnantes interviews) du long-métrage We Can't Go Home Again, le film estudiantin en question, qui se verra présenté à Cannes en mai 1973.
Filmé au naturel et sans filtre aucun durant le mois de mars de la même année, Nicholas Ray fait ici le bilan de sa carrière. De ses débuts avec le drame romantique et noir Les Amants De La Nuit à ses altercations actuelles avec son équipe estudiantine (la dispute avec la jeune apprentie-comédienne Leslie Levinson qui ne se laisse pas marcher sur les pieds par le cinéaste sexagénaire vaut son pesant d'or) en passant par son amitié avec James Dean, le documentaire effleure autant l'âme de Ray que celles des spectateurs. Et quand s'ajoutent les paroles sans langue de bois de la comédienne Natalie Wood, du producteur John Houseman et du réalisateur François Truffaut, le projet devient littéralement envoûtant.
Narré par Howard Da Silva (qui campait l'effrayant Chickamaw dans Les Amants De La Nuit), le moyen-métrage improvisé I'm a Stranger Here Myself (phrase prononcé par Sterling Hayden dans le mythique Johnny Guitar : "I got a lot of respect for a gun. Besides, I'm a stranger here myself.") reste certainement le document qui explore au mieux la complexe personnalité et la sensibilité de Nicholas Ray. Son obsession à recréer La Fureur De Vivre avec la génération post-68, au moment où la rébellion latente de l'Amérique d'Eisenhower s'était transformée en révolution ouverte contre la tyrannie de Nixon, démontre l'active colère qui animait le cinéaste à cette période. Un artiste totalement dépendant des drogues et de l'alcool qui vit son contrat d'enseignement ne pas être reconduit et qui mourut d'un cancer 5 ans après l'édition de cet exceptionnel et rare documentaire.