I Care a Lot
5.8
I Care a Lot

Film de J Blakeson (2021)

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Je vais ici tenter de vous démontrer que I Care a Lot est une sombre merde psychopathique. Et pour ça je vais à un moment spoiler le film, mais ne vous inquiétez pas le divulgachage sera balisé afin de ne pas vous « gâcher » le film. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, voyez-vous, car j'ai une furieuse envie de transgresser la sainte règle du spoil. Juste pour ce film... Juste pour que vous ne le voyez pas. M'enfin ce serait s'abaisser à son niveau, donc je ne le ferai pas : les spoilers seront soigneusement cachés.



Qu'est-ce que "I Care a Lot" ? Certainement pas une comédie.



En préambule, je vous propose de reclasser ce film, car il est partout indiqué que ce serait une comédie, ou bien une comédie noire. Pour que ce soit une comédie, il faudrait que le dénouement de ce film soit sans équivoque heureux. Ce n'est pas le cas. Pour que ce soit une comédie noire, il faudrait que ce film soit drôle. Ce n'est pas le cas. Et je ne dis pas ça parce que je n'ai pas trouvé ça drôle... je dis ça parce qu'à aucun moment je n'ai identifié la moindre tentative d'humour. Noir ou pas noir. Second, troisième, quatrième, cinquième, millième degré ou pas. Si y a quelque chose d'humoristique dans ce film, je crois que le réalisateur et scénariste sont les seuls à rire.


Ce n'est pas un film policier. Il n'y aucun policier parmi les personnages principaux, ni parmi les personnages secondaires. Il n'y a qu'un mystère très peu important. Si peu, que la révélation nous apparaît plutôt clairement dès le début du film.


C'est un thriller, peut-être... D'une certaine façon, sûrement, comme on va le voir dans la suite de cette critique.


Voilà qui est fait. Ah pardon, je vous ai dit tout ce que I Care a Lot n'est pas, mais vous ne savez toujours pas ce que c'est. Vous êtes sûr de vouloir le savoir ? Bon...



Marla, une amie qui vous veut du bien



Le film prend Marla Grayson pour personnage principal. Comme l'indique le synopsis, Marla, grâce au truchement d'un droit américain défaillant, et du concours de quelques connards et connasses de son genre, parvient à déposséder des petits vieux et petites vieilles : de leurs biens, de leur liberté, de leur santé mentale, de leur santé physique, de leurs amis, de leur famille. Légalement.


Marla veut être riche, elle l'est déjà, mais elle en veut plus. Elle est prête à tout pour arriver à ses fins. Je vais mettre fin au suspens tout de suite : Marla n'a pas d'autre facette. Marla est antipathique. C'est même l'un des personnages les plus antipathiques qu'il m'ai été obligé de supporter.


Il y a bien sûr ces personnages qu'on ne supporte pas parce qu'ils sont cons et font tout ce que vous ne voudriez pas qu'ils fassent. Ces personnages qu'on ne supporte pas à cause de leur voix, parce qu'ils sont mal joués, mal écrit, ou bien parce qu'il y a quelque chose qui ne vous revient pas. Marla n'est pas de ceux là. Marla c'est le niveau au-dessus : c'est le personnages auquel vous souhaitez une mort lente, et douloureuse, et lente, et longue, et douloureuse... Pas par sadisme, non. Par soucis de justice.


Marla est la pire raclure de tous les temps, et hélas Marla est la personnage principale d'un film qui se dit comédique. Bref.



Vous, moi... Surtout elle.



Le film s'ouvre sur Marla en voix off qui nous explique que nous sommes des raclures, comme tout le monde, comme elle. Elle nous dit qu'il y a deux types de personnes dans le monde : ceux qui prennent, et ceux à qui on prend. Comme c'est subversif. C'est du jamais vu. Quelle originalité. Fin du sarcasme.


Oui, mais Marla... Moi (et vous aussi, j'espère) je n'enferme pas des vieux dans des EHPAD pour les y laisser crever seuls et les déposséder de tout ce qu'ils ont. Même un trafiquant d'êtres humains a ses limites. Et... Ah bah tient, l'antagoniste du film est un mafieux esclavagiste de femmes (d'Europe de l'Est, on imagine) dont Marla a fait enfermer la mère (et volé les diamants, accessoirement). Et vous savez quoi ? Il n'est pas content. Et je le comprends... On touche pas aux mamans.


Nous sommes au début du film, et le méchant mafieux entreprend donc de faire libérer sa mère (puis il apprend pour les diamants). Et il commence gentiment en envoyant un avocat... Avocat qui se heurtera à l'extrême arrogance, et l'extrême bêtise, et l'inconscience de Marla. Oui, elle a ces « qualités » là en plus.



Hypothèses



À ce moment du film, si vous êtes une personne normale, et que vous n'êtes pas accablée d'un trouble de la personnalité antisociale, vous détestez déjà très sincèrement Marla.


Ou bien... Attendez, j'ai omis une autre hypothèse : vous n'en avez tout simplement rien à foutre du film et vous n'avez d'empathie ou d'antipathie pour aucun des personnages. Tout ça vous passe au-dessus, vous faites la vaisselle en même temps ou bien vous avez eu une dure journée et vous espérez faire une bonne sieste devant ce « truc » recommandé par Netflix.


Ce n'est que le début, et vous vous demandez bien pourquoi c'est elle la personnage principale. Ça, c'est original. Le ton est plutôt léger mais Marla est malgré tout très très très très antipathique... J'ai suspecté alors que le film pouvait prendre deux chemins.


Hypothèse numéro une : Marla est une anti-héroïne poussée à l'extrême, elle passera du statut de « sale raclure de merde » à celui de « personnage dont les fondations morales sont chamboulée », afin de finir par gagner notre sympathie en se repentant et en échappant au méchant mafieux russe. C'est un classique.


Hypothèse numéro deux : Retournement de situation, le mafieux russe est en réalité le personnage principal. On lui découvrira des facettes attachantes, malgré son activité exécrable. Il jouera le rôle d'anti-héros malgré lui. Marla étant l'antagoniste, le film consistera en une sorte de snuff movie durant lequel Marla prendra cher tout du long en tentant d'échapper au sort funeste que lui réserve le gentil méchant mafieux. Ce serait alors une comédie très noire et quelque peu sadique, jubilatoire et graphique. Ça s'est déjà vu.



Faisons une pause



Je vous rassure, aucune de ces hypothèses de s'est avéré être la bonne. Je ne vous ai rien gâché.


Si vous n'avez pas vu le film et que vous ne voulez pas vous faire gâcher la fin, ou même l'entièreté du film, je vous conseille de sauter directement à la conclusion de cette critique, qui sera sobrement intitulée « Conclusion ».


C'est le dernier chapitre. Comprenez seulement que sans connaissance de l'histoire il faudra prendre mes arguments pour argent comptant, ou bien vous pouvez les rejeter en bloc et vous infliger deux heures d'une torture intellectuelle très inhabituelle en regardant I Care a Lot.



Nos démons intérieurs...



Comme je vous le disais, je me suis foutu le doigt dans l'œil jusqu'au coude et aucune de mes hypothèses ne s'est vérifié. Je ne sais pas si c'était le but du réalisateur, mais j'ai tout de suite ressenti un fort sentiment d'injustice, dès le début du film. Marla est dégueulasse, et elle a semble-t-il la Loi de son côté. Il n'y a rien qui semble être faisable pour sortir ces pauvres vieux de leur prison, ou pour aider leurs proches à les en sortir.


Lorsque le mafieux fait son apparition, il se présente alors comme l'espoir qu'une forme de justice vienne entraver Marla. Une justice que la Justice elle-même n'aurait pas pu ou n'aurait pas su faire triompher. On a beau savoir que c'est un gangster. On a beau savoir qu'il pratique la traite des femmes... Il n'en reste pas moins sympathique. Et pourquoi ?


D'une, parce que le sujet de la traite des femmes n'est jamais montré. Il est évoqué durant 10 secondes lorsque le mafieux (appelons le Roman, puisque c'est son prénom) regarde des photos de femmes très peu réjouissantes (les photos) en parlant de « marchandise ». Par contre, l'activité de Marla fait l'objet de toute l'exposition du film, et l'injustice et l'impuissance qui accable ses victimes est très bien montrée. (Il faut accorder ça au film, son exposition est visuellement réussie.)


De deux, parce que l'enjeu pour Roman est de retrouver sa mère (et des diamants). L'enjeu pour Marla est de faire du pognon, et de ne pas ravaler sa fierté... Comment ne peut-on pas être tenté de se ranger aux côtés de Roman, dans ce cas ?



To bitch or not to bitch ?



Le dilemme n'aura été que de courte durée me concernant, puisqu'il le film a très vite pris le parti de Marla. Il a pris le chemin de l'hypothèse numéro une : Roman cherche à tuer Marla, et elle cherche à lui échapper et à préserver sa propre vie.


Comme dans tout film du genre, les méthodes de Roman vont aller crescendo vers la violence. Enfin... en restant quand même très mesuré. La pression s'accentuera sur la personnage de Marla. On tente alors de nous attendrir avec ses peurs et ses craintes. Mais Marla ne craint rien...


Le comble, c'est que Roman n'est pas un très bon mafieux. Il n'a pas beaucoup d'hommes à sa solde. Ceux qui le suivent ne sont pas les plus futés ni les plus compétents. Il ne fera jamais preuve d'une extrême violence ou d'une grande cruauté. Il ne tentera qu'une fois de faire évader sa mère en envoyant trois guignols dans un EHPAD... Roman ne représente apparemment pas une grande menace.


Résumons. Marla est en danger, mais elle s'en fout. Et elle ne présente aucun – littéralement aucun – signe de remords. La menace d'un mafieux russe qui tente de la tuer ne remet rien en cause pour elle ; l'enjeu restera tout le long du film de garder ses putains de diamants, et de torturer des vieux en maison de retraite.


La question d'avoir de l'empathie pour Marla ne se pose plus, alors. C'est une femme forte qui assume ses choix de sale raclure de merde, et je ne vois pas pourquoi on devrait compatir à son sort. Bien au contraire.



I Cared a Lot



J'ai donc entretenu quasiment tout le long du film l'espoir que l'hypothèse numéro deux se réaliserait. J'ai espéré que vienne ce moment où on nous révélerait que l'intention du réalisateur était de critiquer Marla et tout ce qu'elle représente. Puisque la critique ne semblait ni explicite, ni implicite, et puisqu'on me faisait tant détester Marla, je fantasmais que le film la fasse crever de façon jubilatoire à la fin. J'ai laissé beaucoup de chances au film, ne voulant pas le juger précipitamment. Mais rien n'est venu.


J'ai espéré... Puis espéré... Puis espéré... Puis l'espoir s'est transformé en attente. Puis l'attente n'a fini par n'être qu'une curiosité blasée, à aller au bout du film. Comme la river au poker, la fin du film l'aurait détruit à mes yeux, ou bien elle l'aurait sauvé. Je lui laissais encore une dernière chance de me surprendre et de ne pas être ce qu'il s'annonçait être dans cette introduction kitch et insultante...


J'ai attendu deux heures... en vain. Marla s'en sort. Elle et Roman s'associent pour faire du flouze... Donc l'antagoniste finit par se rallier à la cause. Elle finit riche et célèbre. Dans la dernière scène elle est tuée d'une balle dans la poitrine par un des pauvres types qu'elle a privé de sa mère... Quelle importance ? L'antipathie s'était transformé en dégoût, puis en dédain. Je voulais juste que le film se termine. Comble du comble... Il se termine par un plan sur la compagne et la complice de Marla qui se penche en pleure sur elle tandis qu'elle se vide de son sang. Elle n'aura pas souffert. Elle n'aura pas répondu de ses actes devant des tribunaux. Sa fortune et son mérite ne lui seront pas enlevé... et on fait de sa mort un élément de tristesse, alors que ça aurait dû être une délivrance jubilatoire pour le spectateur.



Conclusion



Je ne suis pas contre ressentir des émotions négatives devant un film, si tant est que cela soit l'intention du réalisateur et que ce soit clair. C'est un exercice de style comme un autre, après tout. Mais dans I Care a Lot je crains que Blakeson ne soit à prendre au premier degré... Je crains que le sentiment d'injustice et la colère que j'ai ressentis durant le film n'étaient pas le projet. Je crois que Blakeson est un psychopathe qui s'attendait à ce que je sois captivé par les péripéties d'une psychopathe sans nuance... Alors que tout ce que j'espérais c'est qu'elle se fasse tabasser la gueule durant de longues minutes. Au pire, j’espérerais une fin Tarentinesque.


En finalité, si la morale n'est pas inexistante elle est tout simplement immorale. Parce qu'elle est dénuée de toute complexité et qu'elle est manichéenne : le fric est une vertu. Point. On pourrait bien sûr voir dans ce film la critique d'un capitalisme et d'un corporatisme exacerbé, ce que Marla incarne à la perfection. Mais tout, absolument tout, dans ce film va à l'encontre de cela. Marla est visuellement sublimée. Marla est intelligente. Marla est forte. Marla est une grosse salope qui ne fait montre d'aucun regret et qui parvient à ses fins. Est-ce que j'ai loupé un wagon ?


Ou bien... Blakeson est-il peut-être le plus gros troll de tout les temps en nous faisant miroiter durant deux heures un revirement qui n'arrivera jamais, et en finissant son film à la pisse ? J'ai du mal à y croire... Mais en même temps, Netflix finance un peu tout et n'importe quoi, alors pourquoi pas ça ?


Au delà de la déception, si on met de côté la cruauté de Marla (comment ?!), I Care a Lot n'est objectivement pas un film transcendant. Seule la musique sort du lot... parfois. Les acteurs ne sont évidemment pas mauvais... mais cela ne sert à part grand chose, sinon magnifier les défauts très triviaux du film. Le scénario est dans la moyenne américaine. La réalisation est dans la moyenne américaine.


C'est un film moyen... Si on parvient à ignorer le fait que l'héroïne est une putain de psychopathe qui torture des p'tits vieux !

kevsler
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le 3 mars 2021

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