Homunculus
Homunculus

Film de Otto Rippert (1916)

Il convient d'abord de rappeler que la seule version disponible de ce film n'est qu'une version italienne montée en un format classique (il semblerait qu'en 2014, une version quasi complète fut restaurée et projetée lors du festival du film muet de Bonn, mais elle est introuvable sur Internet ou en DVD / Blu Ray). C'est originellement un serial en 6 parties, nous n'avons donc accès qu'à une œuvre majoritairement tronquée, dont ne subsiste que le début, une partie du milieu, ainsi que la fin.


Homunculus est réalisé par Otto Rippert, (Pest in Florenz, 1919) et écrit par Robert Reinert (Nerven, 1919) sur une idée originale de l'écrivain autrichien Robert Hammerling. Le rôle principal est tenu par Olaf Fønss, surtout connu pour son rôle dans Atlantis en 1913 (le film qui a "prédit" la catastrophe du Titanic). À noter que Fritz Lang y est assistant, c'est peut-être là qu'il rencontre Theodor Loos, incarnant Friedland, qui deviendra plus tard un de ses fréquents collaborateurs (il est notamment Josaphat dans Metropolis).


L'œuvre est intéressante à bien des égards, d'abord dans son scénario. Elle reprend le thème plutôt en vogue du monstre créé de toutes pièces et qui échappe au contrôle de ses créateurs, que l'on peut lire dans le célèbre roman de Mary Shelley Frankenstein, fréquemment adapté par le 7e art (dès 1910), ou que l'on pourra voir quelques années plus tard dans Le Golem de Paul Wegener. Toutefois, contrairement à ces précédents monstres, il n'est pas une figure muette ou épargné de toute conception humaine, c'est d'ailleurs parce qu'il connaît celles-ci qu'il sombrera dans la fureur.


Il est incapable d'aimer, mais plongé dans une société où il ignore d'abord être une créature artificielle, il ressent avec aigreur cette différence, ne trouvant goût en rien et se complaisant plus que de raison dans la colère et le désespoir. Ses relations avec les femmes sont difficiles, trois femmes se présentent à lui, trois fois il échoue à les aimer. Il n'osera pas se lier à la fille d'un prince maure, puis forcera une autre jeune femme à l'aimer et quand son couple sans passion se brisera, il retrouvera cette situation initiale où une jeune femme l'adulant ne sera pas à son goût. La fatalité de ces tentatives vouées à l'échec apparaissent encore plus lamentables lorsque l'on comprend par son malheur sur la dépouille d'un chien qu'il avait adopté que sa seule affection n'est pas destinée à la race humaine. Une scène où il compare son expérience à celle d'une fleur confirme d'ailleurs cette distance qui se creuse entre lui et les autres.


Là se trouve un intéressant paradoxe, qui est donc responsable de son supposé rôle de futur destructeur des mondes ? Annoncé dès le début comme une sorte d'antéchrist, il doit dissimuler son identité aux hommes, sans quoi il se voit chasser sans ménagement de leur compagnie. Cette violence devant laquelle il est contraint de fuir formera probablement une part de son dégoût pour le monde. Incompréhension, rejet, appréhension, comment donc intégralement blâmer l'Homunculus ? Peut-on estimer que la terreur à laquelle on l'associe n'existera qu'à cause de ce rejet ? Cette subtilité me semble importante, elle évite le tout blanc, tout noir que l'on observe parfois, l'Homunculus est une figure grisâtre difficile à estimer et si sa réaction est plus qu'atroce, il meurt avec un semblant de regret sur les ruines d'un ancien monde se préparant à un renouveau.


On peut considérer cette histoire comme une sorte de quête existentielle. Ce faisant, le film brasse plusieurs genres, de l'horreur à la science-fiction, en passant par l'amour tragique, l'aventure et même la politique. Un fourre-tout que son originale forme de serial devait rendre plus logique, ou plus buvable. Dans l'état, je me suis retrouvé plutôt déconcerté par le dernier tournant du film, où l'Homunculus devient politicien, une transformation sans trop de rapport avec les précédents événements, je ne peux toutefois reprocher ce trop brusque changement qu'au montage de cette version particulière.

D'ailleurs, la fin intervient plutôt vite et nous ne contemplons que trop peu sa destruction du monde.


Le jeu de Fønss est tant exagéré qu'il en est parfois risible, cela ne dénote pas forcément des autres productions dans cette époque où les visages doivent remplacer la parole, mais cela atténue le sérieux de ses premières réflexions dramatiques sur la fadeur de sa vie (dignes des plus niais poètes maudits des réseaux, mais je pinaille). Le film est modérément bavard et si l'histoire est intéressante, la manière de la développer est parfois à revoir, mais là encore, l'absence d'une certaine fluidité est à mettre sur le dos des fragments perdus.


Visuellement, il est plutôt sobre, même s'il faut noter une bonne maîtrise des nouveaux codes cinématographique (différentes échelles de plan, caméra parfois mobile, montage alterné, etc). La fin est toutefois bien plus intéressante pour deux raisons, d'abord l'emploi d'un flash-back où nous apercevons d'anciens plan du film en même temps que l'Homunculus les visualise, procédé qui en était alors à ses balbutiements, puis une profondeur de champ le mettant en scène dos à un personnage à l'arrière plan.

C'est la faucheuse et ses derniers instants sont également un prétexte à un beau plan de dos, au sommet d'une montagne face à l'horizon en "voyageur devant une mer de nuages" de Friedrich.


Le film vaut donc le détour. Si on peut légitimement regretter l'absence d'une bonne partie de l'œuvre, elle met tout de même en scène une quantité assez respectable d'originalités pour se distinguer de la masse de films fragmentés dont l'intérêt n'est que purement visuel et plaire à l'amateur de films muets, surtout lorsque il préface quelques caractéristiques du futur expressionnisme allemand (les décors sont sages, mais le thème d'un homme torturé et maudit s'en rapproche franchement). Une bonne découverte en somme.

Elie99
6
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le 25 mai 2023

Critique lue 18 fois

Elie99

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