Avant la guerre, l'homme

(Ceci est une critique de la version non-censurée. Effectivement, lors de sa diffusion sur TF1, la chaine a honteusement charcuté l'oeuvre originale d'environ 50 minutes, la simplifiant jusqu'au ridicule.)

"La naissance du maaaal"... Je ne pensais pas que les créateurs de ce téléfilm prendraient ce titre au pied de la lettre ! Dès le début, le petit Adolf est effectivement présenté comme le digne successeur de Damien en tant que fils du Diable. Sa première parole est une parole de haine, la première d'une litanie de méchancetés et de frustrations qui caractérise sans équivocité la psychopathie innée de Hitler. Au point où son papa déclame "C'est ma punition pour avoir épousé ma nièce !". Tout s'explique ! Hitler est un enfant incestueux possédé par le maaaal dès la naissance parce que se faire culbuter par son tonton, c'est pas bien, ça vous donne des gosses dégénérés... Le prologue du film n'annonce donc rien de très bon, survolant avec la vitesse d'un V2 la prime jeunesse d'Hitler dans une série de scènes courtes, aussi vite expédiées que caricaturales. Et puis, l'histoire se pose enfin et commence vraiment avec le début de la guerre 14-18 et l'apparition de Robert Carlyle dans le rôle d'Hitler adulte.

Bien que toujours dépeint comme un désaxé hurlant avec force postillons pour un oui ou un non, Hitler commence toutefois a être approfondi au travers d'évènements qui sont très largement méconnus du grand public, habitué à ne voir en lui que le dictateur à la tête du Troisième Reich. "La naissance du mal" a déjà le mérite d'explorer un passé quelque peu brumeux mais indispensable à la compréhension d'un être beaucoup plus complexe que ce que la haine populaire voudrait nous faire croire. Le ton général se bonifie au fur et à mesure de l'histoire, grâce à des qualités évidentes: reconstitution historique de très haute tenue (les décors sont splendides), trame politique complexe qui ne peut être pleinement appréhendée qu'avec de solides connaissances de l'Allemagne des années 20 et 30 et, enfin, acteur principal possédé non par le mal mais par son rôle. Carlyle devient de plus en plus fascinant et, oserais-je le dire, de plus en plus ressemblant à son néfaste modèle.

"La naissance du mal" est un film qui souffre de son relatif manque de temps au début (3H00, c'est peu face à l'ampleur du sujet) mais qui devient de plus en plus subtil au point de conférer des moments d'humanité à son personnage principal (la scène où Hitler s'abandonne complètement à Eva Braun pendant quelques secondes avec une magnifique musique en fond sonore est proprement sublime, à mon sens). Surtout, le réalisateur permet enfin à Carlyle de nuancer son jeu en alternant les inévitables colères wagnériennes avec des moments de calme aussi intenses que magnétiques.

J'avoue ne pas comprendre les critiques parlant du manque de rigueur historique. Après vérification des éléments qui me semblaient les plus romancés (le journaliste idéaliste, la relation de Geli avec le chauffeur...), j'ai été étonné de découvrir que tous dépeignaient des faits authentiques même si souvent négligés par l'Histoire telle qu'on nous la transmet aujourd'hui. Certes, il y a parfois des raccourcis un peu regrettables mais je ne vois pas comment garder l'intérêt du spectateur sans sacrifier parfois tel ou tel détail. Il faut savoir que "La naissance du mal" s'inspire de la biographie de référence sur Hitler, un monumental pavé d'environ 3000 pages, aujourd'hui disponible en français dans une version allégée de 1200 pages... L'auteur, Ian Kershaw, n'a pas voulu que son nom soit associé à ce film, sans doute lui aussi inconscient des contraintes d'une fiction télévisuelle.

Malgré ses quelques faiblesses, je ne peux que recommander la vision de cette oeuvre, unique en son genre et qui ne pourra que vous inciter à vous pencher davantage sur l'un des hommes les plus importants du XXème siècle.