Mariana Otero signe avec ce "film de photos", captivant, un hommage personnel à Gilles Caron. La réalisatrice nous invite à retracer avec elle l'histoire, l'historique des milliers de photos prises par Caron pour mieux suivre le parcours de ce photographe de génie.


Est-ce le tutoiement utilisé par Otero? Est-ce de savoir que ce jeune photographe va disparaître en 1970 au Cambodge à l'âge de 30 ans? Est-ce la clairvoyance empreinte d'humilité qui émane de ses rares interviews? Pour nous, il s'agit de Gilles, proche de nos préoccupations à saisir l'humain, lui par la photographie.


De mai 1968 à la guerre du Kippour, celle du Vietnam, du Biafra au Nigéria en passant par l'Irlande du Nord et le Tchad : Gilles aura été sur tous les fronts. Il dira qu' "il n'y a pas tellement de différences entre couvrir la guerre d'Israël et faire la première à l'Olympia". Pour les deux, "il faut être drôlement bon" et il accusera avec autodérision les "crétins de paparazzi".
De ces clichés émanent en effet un humanisme alerte, quand il s'attarde sur le visage d'un soldat américain, la déambulation d'une jeune femme irlandaise ou le sourire d'un enfant vietnamien.


Gilles a fait la guerre d'Algérie. Un des moments forts du film est la lecture de ses lettres adressées à sa mère en 1960 alors qu'il est sur le terrain, pendant que défilent ses photos prises à la guerre du Vietnam. On est percuté par la résonance des son propos, par le parallélisme des destins humains.


Les photos de Gilles constituent un formidable matériel historique - celles du mur des lamentations à Jérusalem - ; autobiographique - lorsque la réalisatrice associe certains clichés à des photos de famille dont elle manque cruellement - ; romanesque aussi - les dernières photos prises de ses deux filles. Et pourtant, on n'érige pas Gilles en héros, lui dont le destin est malgré tout tragique. Justement parce qu'il marque par sa vulnérabilité, sa franchise et son sens du travail : il a pris 1200 photos en trois jours en Irlande du Nord !


Ce film est une poignante réflexion sur l'héritage des artistes. Le regard de Gilles, c'est tout ce qui reste à sa femme et ses deux filles, un regard sur une photo. Tellement peu et tellement tout quand ce regard jette un humanisme clairvoyant sur les actualités du monde et continue de nous éclairer.

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le 7 mai 2020

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Emilie Rosier

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