Je découvre enfin Heimat de Edgar Reitz et si forcément la durée peut être un peu rédhibitoire (un peu moins de 4h) il est tout à fait possible de le regarder en deux fois puisqu'on a là deux parties distinctes : chronique d'un rêve et l’exode (pour ceux qui comme moi ont du mal à se lancer dans un film trop long).


Et c'est assez fabuleux comme film. Déjà formellement c'est magnifique, peut-être même un peu trop, mais on un noir et blanc sublime avec des plans filmés avec un objectif grand angle, des mouvements de caméra fluides comme jamais dans ces rues d'un village prussien au milieu du XIXème siècle.


Là où on aurait pu craindre que cette recherche formelle soit de l'esbroufe, un cache-misère un peu arty, il n'en est rien, car mine de rien, il vit ce village ! Et c'est peut-être pour ça que j'ai largement préféré la seconde partie. La première pose l'état des lieux, on a un héros qui veut émigrer, qui veut quitter la Prusse, qui n'en peut plus des injonctions de son père, qui rêve de découvrir le Brésil, qui apprend dans les livres la langue des différentes tribus indiennes... On voit qu'il commence à développer une relation avec une jeune fille et on les imagine déjà, dans la suite émigrer ensemble pour l'Amérique du Sud.


Mais ce qui est excellent, c'est que le film contredit toutes nos attentes et toutes les attentes du héros. Il ne fait d'ailleurs de la plus belle manière qui soit : avec du drame. La seconde partie est réellement déchirante et d'une grande beauté.


Autant la première partie était centrée sur le héros, le personnage de Jakob voulant émigrer, la seconde se consacre à un plus grand nombre de personnages, leur donnant de la consistance et là où Chronique d'un rêve était visuellement sublime et enchaînait les plans somptueux sur la campagne et le village, dans L'exode on est dans quelque chose de plus intimiste. Un drame plus profond et intérieur se joue là.


Comme l'indique le titre, des gens vont émigrer et en 1844 il n'y a pas de retour possible, lorsque l'on part pour le Brésil, on part pour de bon, on est libéré de sa nationalité prussienne, on peut mourir durant le trajet... Ce n'est pas une décision à prendre à la légère. Et donc forcément ceux qui partent abandonnent leurs amis, leur famille et doivent apprendre à dire adieu. Je trouve la séquence du départ (et ce qui précède) absolument fabuleux.


Je trouve que le film arrive parfaitement à nous faire sentir ce que veut dire « Heimat », à savoir « chez soi » et voir des gens quitter leur patrie, quitter l'endroit où ils sont nés, quitter leur « Heimat » et tout ce qu'ils ont connu permet vraiment de se rendre compte de ce que c'est qu'être chez soi, avec les siens, même si ce chez soi n'est pas formidable...


Bref, je trouve que le film gère magnifiquement bien la séparation.


On pourrait éventuellement reprocher au réalisateur de trop vouloir montrer de choses dans son film. Disons que par moments j'ai eu l'impression que Reitz voulait absolument mettre le plus possible de détails de la vie quotidienne de l'époque : les nourrissons qui meurent, la maladie, les rites funéraires... et qu'à côté on a un héros qui parle facilement quatre ou cinq langues et qui en plus apprend des langues amérindiennes dans des livres alors qu'il est le fils d'un forgeron. Il est bien plus éduqué que ne le voudrait sa classe sociale à l'époque, ce qui n'est pas forcément un mal en soi, mais disons que ça tranche que cette volonté d'être hyper réaliste en montrant la vie des gens. (bon après, si ça se trouve c'était possible à l'époque, mais j'ai un doute)


Cependant, je pardonne, et bien volontiers, cette envie de montrer plein de détails parce que ce n'est jamais réellement gratuit, ça participe toujours à la dramaturgie du film et on a quelques moments vraiment émouvants qui en découlent.


Je pense que si le film m'a plu c'est aussi parce que je me suis identifié un peu à ce gens qui quitte les bords du Rhin pour se rendre dans la forêt amazonienne. Disons que ça me parle.


En somme c'est vraiment un beau film, plein d'imprévus, émouvant, mélancolique et visuellement à tomber à la renverse.

Moizi
8
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le 8 juil. 2020

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Moizi

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