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Sophie Huber a une démarche documentaire, en matière de simili biographie revendiquant son caractère évasif, qui me plaît beaucoup. Le genre de regard adapté à son sujet, insaisissable, non-transposable. Conscient qu'il est inutile de dresser une liste de faits de façon encyclopédique, conscient qu'il est impossible de dresser un portrait exhaustif d'une personne en quelques heures de cinéma, a fortiori quand il s'agit d'un acteur aux 200 (et quelques, lui-même ne s'en rappelle pas vraiment) rôles. Et quand Harry Dead Stanton himself déclare d'entrée de jeu qu'il ne veut pas parler de sa vie personnelle, et surtout pas de son père ou de sa mère, on sent bien que le traditionnel "né de parents...", etc. sera laissé de côté. De sa vie personnelle, on en retirera seulement quelques fragments, de manière très indirecte : son enfance dans le Kentucky, son engagement dans la bataille d'Okinawa, son aversion pour le mariage (en contradiction totale avec son tempérament évident de solitaire, même s'il s'y risquera une fois dans sa vie de manière mécanique, en toute normativité). Dans cette direction, l'acteur oppose même une certaine résistance, tout en douceur, à ce genre de questions.


Harry Dean Stanton: Partly Fiction est bien équilibré dans sa substance et alterne entre trois types de contenu : des échanges entre la réalisatrice et l'acteur, du fond de son canapé, seul ou en compagnie de quelques unes de ses connaissances (toujours en lien avec le cinéma), des extraits de films judicieusement choisis, rappelant certains moments-clés et guidant la discussion, et des passages où il se laisse aller à la chanson, du Folk sur fond de guitare sèche et occasionnellement accompagné d'un harmonica. L'ensemble progresse lentement, au gré des morceaux choisis, et file un cours très paisible.


Peu à peu, quelques traits du portrait s'amplifient : le caractère énigmatique de nombre de ses personnages, a tendance mutique, débordant allègrement dans la réalité de sa propre personnalité, ou encore une certaine vocation ratée (et semble-t-il regrettée) dans la musique. Les séquences à plusieurs éclairent sa personne d'une lumière chaque fois différente : David Lynch (Une Histoire vraie), Wim Wenders et Sam Shepard (Paris, Texas), ou encore Kris Kristofferson (Pat Garrett et Billy le Kid, mais surtout leur rencontre sur un film assez peu connu, Cisko Pike).


Mais le plus intéressant dans ce court documentaire ce sont sans doute les quelques anecdotes, égrainées un peu par hasard, qui entrent en résonance avec l'image qu'on peut avoir de Stanton, ravivée à sa mort en Septembre dernier. Comment à l'âge de 14 ans, il prit soudain conscience du vide, du néant de l'existence, et se sentit obligé de vérifier qu'il était "encore connecté" en passant un coup de fil à sa tante. Ou bien ses divagations, celles d'un vieil homme, à voix haute, sur le caractère évanescent de la vie et de l'univers ( "And that's not a negative concept. It's just what is. It's liberating."), alors qu'ils contemplent les lumières nocturnes de Los Angeles depuis Mulholland Drive. Ou encore ce texte composé par son ami Kris Kristofferson (tiré de la chanson The Pilgilm, Chapter 33) d'où le film tire son sous-titre, que les deux vieux semblent également apprécier :



He's a poet, he's a picker
He's a prophet, he's a pusher
He's a pilgrim and a preacher, and a problem when he's stoned.
He's a walkin' contradiction, partly truth and partly fiction,
Takin' ev'ry wrong direction on his lonely way back home.

Morrinson
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le 2 nov. 2017

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