XVIIe siècle, un ronin (samourai sans maître) se présente aux portes de la maison du clan Li, leur expliquant que sa vie de misère lui pousse à leur demander l'honneur de faire harakiri chez eux. L'intendant le prévient : il sait que certains ronins sans honneur agissent de cette manière seulement pour obtenir l'aumone, et la maison Li ne permet pas cela : quelques semaines auparavant, ils ont d'ailleurs forcé l'un de ces misérables à se faire seppuku sur le champ sans même lui fournir un autre sabre que celui en bois qu'il trimballait.
Mais notre vieux ronin Tsugumo n'est pas comme ce jeune sans honneur qui voulait seulement l'aumone. La seule chose qu'il demande aux Li avant de se suicider est de raconter son histoire. Rapidement, on comprend que son but est autant de se donner la mort que de pointer la malhonnêteté du pseudo-sens de l'honneur des Li.


Attention, la suite peut contenir de légers spoils.


Il s'agit d'un grand classique du cinéma japonais ; un nom souvent cité aux côtés d'oeuvres prestigieuses comme Les sept samourais ou Les contes de la lune vague après la pluie. Et le moins qu'on puisse dire est qu'il n'usurpe pas sa réputation.


La première chose qui frappe, c'est à quel point tout est parfait.
Chacune des pièces de la maison Li est vide, et propre, pleine d'angles droits épurés. Pas l'ombre d'une trace de poussière, pas même de pile de vêtements ou de nourritures, même pas un meuble en vue : tout paraît fraichement construit, propre. La mise en scène accentue d'ailleurs cette perfection mortifère, ne serait-ce qu'en filmant les lieux, vides, pendant le générique de début.
Et puis il y a aussi le protocole, tous ces personnages qui se parlent assis dans une position particulière, à une distance réglementaire, ce qui crée un nouveau sentiment de malaise ; ces coiffures extrêmement codifiées, ces visages fermés. La mise en scène, à base de plans fixes et de légers panoramiques renforcera ce sentiment de malaise.
On se rendra rapidement compte que c'est là le propos du film, de critiquer les faux-semblants et le paraître. Au fur et à mesure du récit de Tsugumo, toutes ces façades, tous les principes évoqués plus tôt et le sens de l'honneur en tête, tout cela volera en éclat. Au sens figuré d'abord, par les mots et la mise en scène qui petit à petit se permet par exemple des zooms brutaux qui contrastent avec ce qu'on a vu avant ; puis au sens propre par les actes. Sans trop vous dévoiler le pourquoi du comment, le film montrera dans ses dernières minutes une maisonnée dévastée qu'une armée de domestiques s'emploie à remettre en état, car le paraître est finalement plus important que la vérité.


Nul doute que Kobayashi livre ici une critique assez acerbe des codes régissant encore la société japonaise ; bien que l'histoire prenne place dans le Japon médiéval (d'ailleurs, c'est seulement les films que j'ai vu ou bien 90 % des classiques japonais se passent au moyen-âge ? Rashomon, Ran, les sept samourais, les contes de la lune vague, L'empire des sens...), c'est évidemment ici ses contemporains qu'il critique, en poussant à l'extrême une certaine vision du Japon.


Bref, c'est probablement l'un des meilleurs films sur la recherche de la vérité que j'ai pu voir, et également un film qui laisse un goût amer en bouche ; les derniers instants du film semblant nous dire qu'aucune remise en question des normes ne peut être envisageable.


Et en plus, l'affiche démonte.

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le 5 nov. 2019

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Heobar

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