Happiness
7.4
Happiness

Film de Todd Solondz (1998)

Dans le genre drame social, on en prend pour une bonne tranche. Mais c’est cela qui est merveilleux. En plus des performances d’acteurs, c’est la virtuosité de l’écriture du script qui permet de transcender toutes ces scènes de ménage, de développer chacun des personnages avec une empathie et une proximité dont l’efficacité rend tout simplement béat. L’étiquette de film sur la vie n’est jamais volée, les émotions sont constamment mises en avant, et heurtent avec fracas le spectateur, qui aura largement matière à se sentir en proximité, dans les errances les plus atroces comme dans les rapprochements apaisants. Si les personnages finissent par pratiquement tous se rencontrer les uns les autres, chacun a sa trajectoire personnelle, influencée par ses propres recherches et ses révélations personnelles. Et a ce jeu, le film est plein de ressources. C’est magnolia, sans la bonté intrinsèque et diffuse. Il est plutôt axé sur les peines et le désespoir de ses personnages, qui se débattent dans leur vie contre leurs craintes les plus tenaces, qui triomphent ou qui échouent. Avec une large disposition à verser dans le trash. C’est un peu ce point qui a au final freiné mon empathie, ce trash paralysant la proximité qui a tendance à s’installer. Pour le reste, Happiness est un vrai grand huit émotionnel, où chaque acteur trouve le ton juste sans éclipser ses pairs. A ce jeu, Philip Seymour Hoffman sera surement celui dont on se rappellera le plus. Célibataire quarantenaire au physique ingrat constamment méprisé pour l’ennui qu’il dégage (virtuose scène chez son psychanalyste qui se fait littéralement chier en l’écoutant), il aime secrètement sa voisine de palier, Helen, et ne parvenant jamais à l’aborder, il comble ses frustrations en appelant des femmes au hasard dans l’annuaire pour déverser sur elles ses fantasmes sexuels. Trash, mais vraiment touchant, surtout quand il s’aliène à ses pratiques et ne remarque pas sa voisine d’en face qui sent sa solitude et désire se rapprocher de lui. Un premier visage de la solitude, qu’Happiness décrira avec de nombreux exemples (le parcours de Joy, la mère de famille, qui se retrouve rejetée par son mari à 60 ans et doit refaire sa vie). L’alternance de désespoir et de chaleur humaine est d’une efficacité exemplaire, limpide sur les comportements humains et ses petites leçons de vie. La seule histoire qui contraste dans le lot (la plus trash) est celle de Trish, mariée au docteur Maplewood. Pour l’illustration de la solitude, on constate vite que Trish meuble sa pensée avec les multiples occupations du quotidien, jaugeant tout avec sa légèreté qu’elle tourne en délicatesse. Réaction classique en face de la froideur de son mari. Qui est décrit comme un sociopathe notoire (la scène du rêve), peut être homosexuel latent, et qui exprime surtout des tendances pédophiles. C’est ici que le film m’a pris à revers. Dans les drames que j’ai privilégiés jusqu’à présent sur le thème de la pédophilie, l’acharnement de la société à la diaboliser (en punissant parfois davantage que des meurtres) plaidait pour prendre du recul et ne pas faire preuve d’hypocrisie sous le coup de l’émotion. Ici, c’est un postulat complètement inversé qui est à l’œuvre, à savoir un père de famille de deux garçons qui se met à exprimer sa pédophilie (via notamment des conversations d’éducation sexuelle qui donnent dans les détails glauques, mais bon, il faut bien que quelqu’un en parle, et ce n’est pas à l’école de le faire). C’est la séquence pendant laquelle un ami de son fils vient passer la soirée en famille que le trash culmine. Quand le docteur drogue toute sa famille et l’invité afin de pouvoir en profiter tranquillement. Si le film fait preuve d’humour (le gamin refuse de manger les ingrédients drogués, et le docteur panique en lui proposant un tas de truc à manger ou à boire), la notion de prédateur sexuel et le malaise de la situation grimpent au niveau de Mysterious skin. Pas moins. La progression de cette histoire est d’une logique implacable, malheureusement, sa conclusion, claquant la porte au nez de son protagoniste, déçoit. D’ailleurs, la réunion de famille n’est pas vraiment une conclusion, juste une séquence de clôture qui se contente de clore, sans virtuosité ici, les destins de nos personnages. Peut être un peu trop trash et moins radieux que Magnolia, Happiness se consomme néanmoins avec l’intensité nécessaire à un drame mémorable. Une révélation.

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le 11 janv. 2015

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Voracinéphile

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