Un étrange film que celui là, divisé en deux parties diamétralement opposées, remarquablement résumé sur l'affiche du film, qui montre les deux visages de Gabin.
Toute la première moitié accumule un certain nombe poncifs de l'époque : l'attrait pour la chose militaire, le prestige de l'uniforme (presque amusant, si l'on peut s'exprimer ainsi, deux ans avant la plus grosse défaite d'une armée qu'on croyait encore la meilleure du monde), mais aussi le mythe de la femme fatale devant qui l'homme viril va se retrouver victime sans défense. Le tout sur fond de camaraderie militaire virile et ensuite de retrouvailles avec Paname, ses bouches de métro (dont Gabin parle dans quasiment tous ses films de l'époque, de Pépé le Moko à la Grande Illusion) et ses promenades dans les jardins des Buttes Chaumont.
Bref, un ramassis de lieux communs d'où émergent néanmoins deux phénomènes :
1/ c'est fichtrement bien filmé, et ce tout au long du film
2/ l'étrange interprétation de Gabin douceâtre, presque veule, devant celle qu'il croit être sa conquête et qui est en fait, sa maîtresse au sens SM du terme.


Et vient la deuxième partie, à la fois forte et subtile, où l'on assiste à une déchéance du héros qui échappe quelque peu aux poncifs. Il ne tourne pas à l'alcoolo semi clochard comme dans tant d'autres films sur le thème, mais carbure au contraire au quart Vichy et part se faire oublier dans une station service au fin fond d'une province paumée où il n'a même plus sa place.


Les scènes d'anthologie se succèdent alors : les plus belles étant celles du retour au café de sa jeunesse flamboyante où Gabin est bouleversant de solitude et de désarroi, quand il sent que son heure de gloire est passée et la scène finale (les adieux entre les deux amis).
On trouve certes quelques lieux communs (quand Gabin hurle à Madeleine de se taire, on a encore en memoire le '' Tu vas la taire ta gueule dis, tu vas la taire !!'' du Jour se lève de Carné ( alors que Gueule d'Amour le précède de deux ans) et bien sûr le sort réservé à la femme...


Mais cette deuxième partie grâce au grand talent cinématographique de Grémillon qui sait par la sûreté de sa mise en scène nous faire comprendre les émotions de ses personnages, comme évidemment le fait Gabin avec un abandon subtil et rare.


Et même Mireille Balin arriverait presque à nous faire croire à son personnage de femme rouée et cruelle, elle qui n'était pas la plus subtiles des actrices.


Un beau film donc, dommage qu'il y ait quelques scories dûes plus au scénario qu'à la réalisation. Celle ci devrait donner à ceux qui découvriraient l'oeuvre de Grémillon par le biais de ce film l'envie de se plonger dans le reste de son oeuvre, ou ils découvriront d'autres oeuvres attachantes ( Remorques, Le Ciel est à vous, Lumière d'Eté ou Pattes Blanches , ainsi que parait-il car je ne l'ai pas vu l'étrange Monsieur Victor ou Dainah la Métisse dont Tavernier dit le plus grand bien).

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le 10 juin 2019

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