Gravity est une expérience. En tant que film, il est particulier, j'en ai ressenti quelque chose de quelque peu indéfinissable. Il faut dire que la séance était forcément en 3D et que, souvent très sceptique, cette fois-ci, je l'étais faussement. Dès le début, le décor et le mouvement font en sorte que le spectateur soit plus acteur que témoin, ce qui est à vivre pour la courte durée du film, 1h30 — j'ai d'ailleurs tendance à remarquer qu'au fil du temps, les films s'étalent sur une plus longue durée, autour de 2h - 2h30 en moyenne, et les formats habituels d'1h30 sont surtout réservés aux petites comédies françaises faiblichonnes. Pour un film avec George Clooney et Sandra Bullock, prenant place autour d'une catastrophe spatiale, la courte durée peut donc surprendre. En tant que film, Gravity se révèle un peu rapide, un peu facile sur la trame principale — bon, alors, on va squatter l'ISS, puis on prend Soyouz, genre y a personne dedans c'est une des plus grandes catastrophes spatiales mais c'est bon, j'ai déjà joué à Soyouz Simulator 2013 alors ça va. Voir George Clooney est agréable, et il apporte un ton détaché au début, une présence rassurante, quasiment paternelle ; mais s'il était présent en permanence, tout aurait été plombé, son rôle aurait été réduit à celui du sidekick rigolo, et l'intérêt de son rôle est justement souligné par la scène où il réapparaît (no spoil) aux yeux et surtout à l'esprit de Stone ; le caractère un peu lourd mais de bonne compagnie qu'on lui donnait au début révèle ici tout ce que génère son absence, et Stone se reprend admirablement avec le courage et la puissance qui lui est donnée. Rôle-clé du film, le personnage de George Clooney brille par son absence, par son devenir d'étoile à la dérive sacrifié pour la femme, presque par amour, à l'instar d'Adam Malkovich ou même, du personnage du même nom, Kowalkski, incarné par Clint Eastwood dans Gran Torino.

Par les rotations, les passages d'un point de vue à une autre, la rapidité des mouvements, la Terre en visuel et les couchers de soleil sur le Gange, la 3D est au final très bien rendue, et on aimerait que cette expérience soit poussée jusqu'au bout. Ce serait presque une expérience du Futuroscope, à être projetée, intégralement, animée par un écran Imax et des sièges qui créent des mouvements pour une immersion totale. Mais, peu à peu, plus le personnage de George Clooney disparaît, plus le film prend ses ailes. La force du film et de Stone est dûe en totalité à l'image de la fille, introduite avec pudeur, presque avec ambiguïté, par bribes. Le propos est simple, la femme est humble, mais l'horreur est universelle et elle en témoigne avec tout l'honneur d'une mère. Encore une fois, c'est un film d'amour ; ce n'est pas tant pour elle qu'elle s'arme de ce courage monstrueux, mais pour sa fille, et la mort de sa fille seule est un moteur assez fort pour suivre l'étoile.

Se perdre, disparaître, être à la dérive, renoncer et accepter les conséquences d'un erreur, improbable, fantastique, mais se pousser au bout du bout pour réussir ses rêves. Rêve de vivre, rêve de survivre, peu importe, si on doit voir en Gravity le film est son histoire, il est porté à merveille par Sandra Bullock. Les images en hommage aux bases du cinéma de science-fiction sont aussi humbles et magnifiques à voir, en partant du témoignage vain qu'elle est la seule survivante de la mission, calqué sur celui d'Ellen Ripley qui quitte le Nostromo, pour arriver à celle du fœtus immuable de 2001 — mais cette fois-ci, c'est ce qui fait sa force autant que sa beauté, un fœtus féminin. Dans le cinéma ; dans le courage ; dans la musique qui parfois nuit au silence de l'espace et agresse le spectateur en train de vivre son expérience, mais qui entraîne la navette dans la stratosphère avec une violence grandiose et sublime, Gravity fait l'effet d'une petite bombe. Science-fiction, horreur, catastrophe, peu importe, derrière ce qu'on peut en dire esthétiquement, Gravity est à vivre.
Ashen
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le 28 oct. 2013

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