En guise de préambule, autant justifier tout de suite ma note : elle ne sous-entends nullement qu'à mes yeux, Gravity est un chef d'oeuvre parfait (si encore on puisse considérer que tel film existe, ce qui est un autre débat dans lequel j'évite soigneusement de mettre les pieds, ailleurs qu'en en soirée équipé de mon état le plus second). Je réserve le 10 à ces films qui me donnent ce frisson mystérieux et innommable (dans le sens le plus littéral et non connoté du mot), comportant au moins une petite touche d'hermétisme (pour ce plaisir de creuser, et de s'exclamer intérieurement "oh, c'est ça qu'il voulait nous dire...") et dont l'esthétique me donne le sentiment de découvrir un monde hors d'atteinte. Si Gravity n'est pas le meilleur exemple regroupant ces critères, ils sont néanmoins présents : le frisson extatique est faible mais néanmoins présent (subjectivité, hein ! rangez moi ce peloton d'exécution, s.v.p), les petites touches hermétiques de même (symbolisme souvent facile dans ce film, mais quelques éléments plus ingénieux s'y cachent, en témoigne l'augmentation de ma note de 9 à 10 après un second visionnage), et pour finir l'esthétique (intrinsèquement liée à la technique dans ce film) est à couper le souffle pour ceux que l'espace a toujours fasciné (et auxquels je revendique sans surprise mon appartenance). Pour finir cette introduction, je me permet de poser une grosse pancarte concernant la suite : ATTENTION SPOILERS.

DECOLLAGE

Le premier contact avec le film (si on oublie les quelques phrases qui s'affichent dès l'intro sur fond noir) se fait avec cet énorme son qui monte jusqu'à saturation, pour laisser place brutalement au silence total. On peut volontiers admettre la facilité de la démarche, mais l'effet est là : le film a commencé depuis quelques secondes, mais tout le monde ferme son clapet et entame le voyage. L'immersion est quasi instantanée, notamment grâce à cette intro. Voilà donc le premier aspect sur lequel je vais m'étendre, le sound design et la musique.

Le parti pris sonore est assez curieux : c'est un des films silencieux les plus bruyants que j'ai jamais vu (entendu, bon on se comprends). Il a beau quand même bien brailler, à aucun moment on oublie que les protagonistes sont seuls dans l'immensité. Concernant les bruitages, il faut faire un choix : accepter que ceux ci s'éloignent parfois de la réalité (quelques petites incohérences de-ci de-là, rien de grave cela dit), ou pester fièrement sur les-dites incohérences. J'ai choisi mon camp, le premier, gardant en tête que ce film est un divertissement hollywoodien, et que finalement, si on le prends dans ce contexte, Gravity bat à plate couture ses tristes cousins du box office.

La musique, quand à elle, remplit ses charges avec discrétion. Aucun thème mémorable, mais ce film en aurait-il eu besoin ? Je ne pense pas. Les pistes musicales se succèdent en fond, appuyant telle ou telle scène selon l'émotion recherchée, sans jamais devenir totalement l'objet de notre attention. C'est cet aspect secondaire de la musique qui m'empêche de lui reprocher son aspect neo-Zimmersque, tendancieux à notre époque, qui m'aurait pourtant gêné dans un autre contexte. En l’occurrence, j'ai apprécié cette aspect "postérieur entre deux chaises", "j'en fais des caisses mais je me cache", donnant au film un aspect intimiste malgré ce budget colossal qui est impossible à oublier. Rien de transcendant donc, mais du bon boulot, et surtout un très bon mixage.

A TRAVERS LE HUBLOT

Rien de surprenant, après le son, voici l'image. Bon ici pas de secret, on joue dans la cours des grands. Gravity restera peut être dans les mémoires comme le premier film en salles à faire de la 3D non plus un accessoire, mais le centre de son esthétique et de sa portée émotionnelle. Car oui, la 3D est ici toujours à l'appui de l'émotion, nous permettant de partager tout du long la solitude et l'angoisse des protagonistes. Sorti de salle, on se rend compte que l'on vient effectivement de faire l'expérience du vide sidéral, ou plus prosaïquement un bon aperçu de celui ci. A ceux qui se tâtent encore, foncez, vite ! Je doute que ne serait-ce que la moitié de l'intérêt du film puisse être restitué sur un écran de salon, quand bien même vous seriez possesseur d'une TV 3D. La taille de l'écran de cinéma, la clarté et la puissance des enceintes, toute la salle de cinéma semble avoir été pris en compte comme composante nécessaire de l'expérience lors de la réalisation de ce Gravity.

Si tout le monde n'y sera pas sensible, l'opposition continuelle de la noirceur étouffante de l'espace et de cette Terre qui semble si belle vu d'en haut, fonctionne à merveille. L'ensemble est froid, très froid : je ne m'étendrai pas devant les raisons évidentes de ce choix. Toujours est il que ça fonctionne, on a les pupilles qui s'ouvrent bien grand pour laisser passer une lumière parfaitement travaillée (et réaliste, aux dires d'astronautes de profession à leur retour du visionnage).

CARNET DE BORD

Le scénario est un défaut sans en être un. Il pourrait tenir sur un timbre poste, quand bien même je n'en demande pas plus : au vu du thème et de la technique employée, je préfère largement voir des scènes d'action inédites à un texte plus pompeux et casse-gueule. La simplicité de scénario se fait finalement acteur du ressenti, on s'étonne presque de perdre le souffle face à quelque chose d'aussi convenu. Cette simplicité est finalement un peu trompeuse, tant j'imagine qu'il n'a pas dû être simple de pondre un script réaliste contenant autant d'action sans tomber dans la sur-fiction et réinventer les lois de la physique et ses potes. Mise à part quelques écueils (allez au pif, les cheveux de Bullock qui ne flottent pas quand tout flotte autour, les stations orbitales qui dans la vraie vie ne sont pas du tout sur la même orbite, les débris volent dans le mauvais sens), le film en lui même est grandement réaliste.

Les deux personnages peuvent sembler bâclés à première vue, mais il n'en est rien. Pour les curieux, cliquez sur le lien que j'ai posté en fin de critique pour découvrir une analyse plutôt brillante à ce sujet. C'est en partie ce à quoi je faisait référence en parlant d'hermétisme dans mon introduction. Le scénario se limitant finalement à de l'action, de la catastrophe et une poignée de personnages, je m'arrête là. Pensez à cliquer sur le lien, j'ai rien à ajouter à son contenu. Ah si, une petite remarque, le darwinisme pas discret pour un sou plaira pas à tout le monde non plus, mais si on le prends pas trop au pied de la lettre ça donne un joli parcours initiatique. Mort et renaissance, comme dirait un ami que je porte en estime.

SEUL, SEULE, SEULS

Un aspect qui m'amuse avec ce film, c'est le ratio budget/nombre d'acteurs. Les acteurs, parlons en. Ed Harris brille par son absence, sitôt vu sitôt oublié. Clooney est fidèle à lui même, il fait du Clooney quoi. Si on aime le bonhomme, c'est cool, sinon faudra serrer les dents. Encore une fois, je renvoie au lien à la fin de ma critique, car l'aspect vieux séducteur du bonhomme trouve ici un sens autre que "ça plait aux spectatrices". Quand à Bullock, je trouve qu'elle a fait un très bon boulot. Quand elle pète un plomb, elle fait pas semblant, quitte à faire ricaner dans la salle quand elle se retrouve à faire le chien. Pour la petite histoire, elle est restée enfermée 3 mois dans un cube de 3 mètres sur 3. On dépasse donc un peu le stade de l'acting, il semblerait que la personne qui pète un plomb à l'écran ne soit pas le personnage Ryan Stone, mais bien l'actrice. Libre à chacun d'en apprécier le travail ou non, pour ma part c'est le cas. Une sacrée performance, si on me demande mon avis. Je regrette juste de ne pas avoir vu pu le voir en full VO, les sous titres étant carrément une épine dans le pied, et les doublages français étant sympas mais parfois obstacles à l'immersion (mention spéciale au "ciel dégagé, averse de débris dans la matinée" sortie par le personnage de Bullock avec un ton hyper léger alors qu'elle est sacrément en train d'en chier).

ATTERRISSAGE

J'ai surement zappé des éléments dans cette critique, et je m'en excuse. Toujours est-il que (si ce n'est pas déjà évident) j'ai vraiment apprécié ce film, et que j'espère l'apprécier autant une 3eme fois. Mon 2nd visionnage fut meilleur que le premier, et le fait de pourtant avoir encore mémoire l'intégralité du film ne m'a pas privé de ce sentiment étrange à la sortie de la salle, celui d'avoir oublié le monde dans lequel je vis (pire, j'ai presque eu l'impression de redécouvrir l'action de respirer). Tiens, ça, c'est un critère de plus pour noter 10. Et pour citer Ryan Stone, près de la fin, dans un regard caméra impossible à louper : "ca aura été un sacré voyage".


Lien de l'analyse des personnages : http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/10/30/navez-rien-compris-gravity-nest-film-lespace-247080
ibetheadmiral
10
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le 23 nov. 2013

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A. J. E. Gibert

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