La production à la chaîne des films d'Hong Sang-soo ne semble pas entacher la qualité de chacun de ses opus. La simplicité apparente de la mise en scène permet encore une fois dans Grass de mettre à nu les sentiments humains (amour, désespoir, jalousie, séduction...) pour mieux nous émouvoir.


Comme dans chaque film du réalisateur, on retrouve le dispositif minimaliste habituel. Les personnages sont le plus souvent assis autour d'une table en train de boire et discuter. Le plan ne sépare jamais ses personnages en se refusant tout champ / contrechamp de manière à ne pas briser le lien et la tension qui les unit. Ces plans séquences poussent aussi les acteurs dans leurs retranchements dans des dialogues longs et intenses où plusieurs émotions différentes doivent être convoquées les unes à la suite des autres. La puissance brute des sentiments est donc exacerbée, et souvent renforcée par l'alcool, breuvage libérateur incitant à la parole franche et brutale.


La principale nouveauté dans Grass est l'utilisation de la musique. d'habitude plutôt utilisée à la manière d'une rengaine, elle est beaucoup plus présente dans ce nouveau film, appuyant la force émotionnelle des discussions. Souvent intradiégétique et probablement contrôlée par un facétieux (et invisible) barman, la musique devient grondante lorsque le ton monte et plus lancinante lors des dialogues nostalgiques. Le fond sonore, parfois parasite et parfois enjolivant, devient alors une nouvelle piste pour les jeux d’échos et de répétitions chers à Hong Sang-soo. Ainsi, un couple s'étant disputé sur du Wagner en début de film finit par accorder ses violons en se réconciliant sur le canon de Pachelbel dans la seconde moitié.


La principale protagoniste, au prénom inconnu et quelque peu misanthrope, se plait à observer la comédie humaine se déroulant dans le café de quartier qui sert de décor principal. Les disputes de couples et dialogues teintés de négativité qu'elle observe sont dans la continuité d'une veine plus sombre du cinéma de Hong Sang-soo. Le choix du noir et blanc comme dans Le jour d'après donne à Grass un aspect plus terne et moins joyeux que d'autres films plus ludiques du réalisateur coréen. Cet effet est renforcée par l'itération autour du thème du suicide. Une scène est jouée par deux fois; un duo, l'un accablant l'autre du suicide d'un ami commun. Alors que la première version est filmée dans un style Hong Sang-soo classique, la seconde est moins conventionnelle puisqu'on ne verra jamais le visage de l'homme puis seulement son ombre, comme si le personnage disparaissait lors d'une conclusion de scène dissonante apportée par le son brutal d'un verre sur une table et le fond sonore inapproprié d'une comptine pour enfants.


Est-il possible alors d'affronter cet ensemble de sentiments dépressifs ? Il semble que la solution nous soit donnée dans l'étrange scène de l'escalier. Une femme au visage triste retrouve peu à peu le sourire en découvrant mille façons de monter ou descendre les marches d'un escalier. On retrouve là le goût de Hong Sang-soo pour la répétition de scènes jouant sur des variations, ici réduit à une seule action, quasi axiomatique. Le film semble alors nous dire que le remède contre le spleen qui habite ses personnages se trouve dans l'attention portée à chaque geste, à chaque mot; que chaque choix que nous faisons peut se décliner en d'infinies possibilités et qu'il ne tient qu'à nous de nous en sortir, en persévérant pour trouver la juste voie.


Chercher sa voie, c'est justement ce que fait l'observatrice du café qui malgré son examen de la nature humaine peine à trouver les bons mots avec son frère lorsque la jalousie reprend le dessus. Mais en à peine 1h de temps (et c'est peut être la plus grande force derrière l'apparent dénuement de la mise en scène) Hong Sang-soo parvient à faire évoluer son personnage et à lui faire franchir le pas. Et c'est dans un final touchant que le simple mouvement, filmé de loin très pudiquement, de quitter sa table pour rejoindre un groupe d'inconnus devient un geste du plus grand courage et de la plus grande humanité.

yhi
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le 27 déc. 2018

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