Goodnight Mommy est un thriller psychologique qui nous vient du fin fond de l'Autriche, et qui a beaucoup fait parler dans le circuit des festivals à sa sortie, un film à l'ambiance tendue et inquiétante, qui a fortement divisé la critique. Certains lui trouveront des qualités indéniables de pur film d'horreur, alors que d'autres y verront une simple tentative de torture porn enrobée dans un emballage pseudo-auteuriste. La vérité est certainement quelque part entre les deux, car ce film présente de réelles qualités, couplées à des défauts évidents. Notamment le fait que le scénario de ce film soit très linéaire, en effet, les cinéastes dévoilent très vite leur jeu, ce qui rend la dernière partie assez prévisible. Maintenant, la question à se poser est la suivante: Est-ce que l'intérêt de ce film repose sur son scénario? Eh bien, pas forcément. Car il s'agit tout de même d'un film qui parvient à faire frissonner son spectateur, à instaurer le malaise à travers une ambiance élégamment désagréable.


Écrit et réalisé par Severin Fiala et Veronika Franz, Goodnight Mommy se développe comme un conte de fée macabre, plus proche des frères Grimm que de Disney. On y suit l'histoire de deux jumeaux, Lukas et Elias (qui, pour la petite histoire, sont joués par de vrais acteurs jumeaux, Lukas et Elias Schwarz), qui vivent avec leur mère célibataire (Susanne Wuest) dans la campagne autrichienne, passant leur temps à flâner en explorant les cavernes des environs et en se cachant dans les champs de maïs. Filmé avec une précision sinistre, ce décor offre un terrain de jeu idéal aux aventures de nos jeunes personnages principaux.


On pourrait dire que ce film est un thriller gothique dans un milieu moderniste. La quasi-totalité du film se déroule dans un manoir antique richement orné, mais également rempli d'angles morts et d'espaces vides, entouré par une forêt idyllique et par de vastes étendues champêtres, un décor rempli de lignes de fuite idéal pour instaurer la tension. L'intrigue du film se base plus précisément sur une opération de chirurgie esthétique subie par la mère des deux enfants. Suite à quoi elle commence à développer un comportement étrange: Au-delà de son apparence effrayante, avec son masque de bandages qui ne laisse transparaître qu'une paire d'yeux injectés de sang, elle semble habitée par une attitude différente. Bientôt, les frères commencent à se demander si la personne sous ces bandages est toujours leur mère, ou s'il s'agit d'un imposteur malveillant...


Présentant une qualité de mise en scène surprenante pour un premier long-métrage, le film bénéficie certainement de l'expérience de son producteur, Ulrich Seidl, un réalisateur autrichien spécialisé dans l'étude du désespoir humain, comme le démontre sa récente trilogie "Paradis". Mais Goodnight Mommy est tourné d'une manière beaucoup plus viscérale. Les réalisateurs-scénaristes Veronika Franz et Severin Fiala absorbent littéralement le spectateur dans la fantaisie sombre et féerique de ce conte macabre, renforcée par la beauté bucolique du paysage rural servant de toile de fond. Le film semble conçu pour exploiter les peurs les plus primaires, et plus particulièrement les phobies, celle du dentiste semble être une curieuse obsession pour les deux cinéastes, avec de nombreuses scènes ayant pour sujet la bouche, un orifice vulnérable que Franz et Fiala traitent avec la grâce d'un médecin sadique.


En d'autres termes, Goodnight Mommy est un film qui sait jongler entre le traitement psychologique de ses personnages, et un côté plus brutal. L'acte final du film est un véritable test d'endurance en ce sens, tant pour le public que pour ses personnages; Même les aficionados chevronnés de cinéma extrême risquent d'y voir leur limites testées, en grande partie pour la simple et bonne raison que l'horreur physique est ici filtrée dans une histoire familiale traditionnelle, l'exploitation du lien mère-fils alimente une sorte de cauchemar ambiant, qui joue avec nos nerfs d'une façon cruelle, ce qui fait qu'au final, le manque de suspense induit par la prévisibilité du scénario est largement compensé par un côté purement formel qui se suffit largement à lui-même et parvient à absorber le spectateur dans son monde.


Cette tension est d'ailleurs persistante pendant la majeure partie du film, avec l'utilisation d'un jeu pervers de question-réponse sur le thème de l'identité, celle de la mère bien entendu, qui semble elle-même ne plus savoir qui elle est réellement, mais est-elle vraiment la seule dans ce cas? L'inquiétude ambiante de l'intérieur de la maison est alimentée par le décor lui-même, avec notamment de nombreux portraits flous de "Mama" affichés sur les murs, ce qui augmente le sentiment général d'incertitude, avec ces personnages dont la nature réelle reste inconnue. L'accent mis sur le jeu (jeux d'enfants, jeux de société) semble d'ailleurs placé ici pour nous forcer à nous poser des questions sur la signification globale de tout ce que l'on voit à l'écran, et si tout cela n'était qu'un jeu psychologique de nature indescriptible? Il est cependant difficile de ne pas se dire que l'action toute entière se déroule en fait dans l'ombre d'un traumatisme passé et invisible à notre vue.


Goodnight Mommy est un film rempli d'ellipses, avec de nombreux silences lancinants, doté d'une ambiance générale assez calme, au rythme plutôt lent, mais terriblement prenant, même les scènes ne présentant aucune situation bouleversante sont toujours intéressantes à décortiquer. Le cadre étant sans cesse rempli de détails inoffensifs mais inquiétants.


Ces choix minimalistes offrent une vitrine généreuse pour les acteurs, qui en profitent largement. Susanne Wuest offre une performance délicate et déstabilisante. Son regard froid et constamment énervé est glaçant, mais elle se révèle encore plus angoissante lorsqu'elle se lance dans un registre plus chaleureux ou vulnérable. Ses deux jeunes partenaires développent également un jeu efficace, alternant entre le jeune garçon effrayé et effrayant.


Ce film n'est pas particulièrement violent dans l'ensemble. Mais les cinéastes et leurs acteurs poussent délibérément le public à atteindre ses limites émotionnelles. Même lors du dernier acte, qui propose une violence extrêmement macabre, mais toujours troublante. On ne peut s'empêcher de ressentir une sorte de compassion silencieuse et impuissante au-delà de toute cette cruauté. Finalement plus tragique que sadique, Goodnight Mommy est un film très inquiétant et tendu, mais dont l'intrigue se déroule avec prudence.


En somme, un film porté par ses performances d'acteur de haute volée, son montage intelligent et sa conception sonore, qui en font une réelle expérience sensorielle que l'on savoure à chaque seconde. Une œuvre viscérale, exigeante avec son public, qui demande un vrai investissement émotionnel. D'autant plus qu'il s'agit d'un film qui ne se contente pas d'effrayer et de créer la confusion, mais qui cherche à faire réfléchir son spectateur. Et malgré le fait que son développement scénaristique soit très linéaire et prévisible, c'est un film qui mérite d'être visionné et compris dans sa globalité.

Schwitz
7
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le 18 nov. 2016

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