Gemini Man
5.2
Gemini Man

Film de Ang Lee (2019)

Je n'attendais rien de ce film, et pourtant...


Will Smith rejoint Bruce Willis, Jet Li, Jean-Claude Van Damme et Arnold Schwarzenegger au club des acteurs en perte de vitesse qui tentent d'exploiter leur renommée à travers un film où ils sont leur propre ennemi. Une démarche qui sonne comme une dernière tentative pour exister, crier « JE » au cœur d'un système froid et désincarné qui rend certes le succès possible pour un acteur mais qui ne le maintiendra jamais si l'argent n'est pas au rendez-vous. Un système qui semble tristement immuable. Ce type de démarche paraît être une épreuve du feu : « Peux-tu encore vendre un film avec ton nom ? Mérites-tu toujours d'être considéré comme un A-Lister ? » Et les spectateurs de se retrouver avec un film qui ne promet ni réflexion ni émotion, seulement la présence d'un visage familier, rassurant, apprécié.
Le succès du film dépend donc de la fidélité du spectateur (tout comme quelqu'un peut être fidèle à une marque, indépendamment de la qualité du produit). Il est alors ironique de voir les deux rôles titres, au rapport généralement antagonique (au moins pendant une bonne partie du film), joués par un seul homme. C'est comme s'il n'était plus question d'un acteur mais de la personne face à sa représentation dans la conscience collective. Une représentation dont l'existence est due à son succès dans l'industrie hollywoodienne. Ce type de films serait donc une façon de se réapproprier son nom, ou d'assimiler cet avatar populaire à sa propre identité. Certes, c'est une réflexion en l'air qui brasse beaucoup de vent... une réflexion qui est à mon avis plus intéressante que le film lui-même.


« Gemini Man », un nom parfait pour désigner ce cliché des acteurs jouant à la fois le gentil et le méchant, « les films Gemini » ou « l'effet Gemini » ?
Mais promettre est une chose, qu'en est-il de ce que le film offre ?
À l'instar des films À l'aube du sixième jour, The One et Double Impact, Gemini Man délivre de l'action, alors même que Will Smith n'est pas considéré comme un acteur particulièrement rattaché à ce genre, contrairement à ses prédécesseurs. Dissonance : curieux choix que celui de Will Smith dans cet exercice de style. Will est un acteur qui cherche à divertir, à émouvoir, à charmer même. Or Gemini Man ne lui donne pas d'espace pour divertir, tandis que la volonté d'émouvoir semble presque étrangère à la nature du film. Nous sommes donc devant un film d'action creux, que le spectateur identifie comme tel. Pire (ou cerise sur le gâteau) ! on ne peut même pas profiter de l'acteur dont la puissance comique a été complètement oubliée. Il est trop occupé à interpréter un Henry Brogan hanté dans un enchaînement de séquences au premier degré censées être intenses et viscérales (mais qui sont surtout pataudes).


Donc le parti pris de départ déjà ne fonctionne pas. Quid de l'action ? Pour cela, il nous faut nous tourner vers le réalisateur taïwanais Ang Lee.
Il a un rapport très en dents de scie avec la critique. Il contribua à forcer la barrière culturelle entre les États-unis et la Chine grâce à Tigre et Dragon. Il fut plus tard conspué pour avoir délivré une adaptation soporifique de Hulk (à une époque où le genre des super héros était sur la pente ascendante avec Spider-Man de Sam Raimi). Il connut à nouveau le succès critique, tant auprès de la presse que du public, avec Brokeback Mountain et L'Odyssée de Pi. Son parcours ne relève ni du sans faute ni du champ de mines. Mais si une chose est sûre après avoir vu Gemini Man, c'est qu'Ang Lee n'est pas du tout un grand réalisateur de film d'action à l'occidentale. Un film d'action se doit d'être ancré dans un rapport de proximité avec l'acteur titre — il n'y a qu'à se tourner vers le succès de John Wick, Atomic Blonde ou la saga Mission Impossible pour voir la formule appliquée correctement. Et je déplore d'autant plus cette absence de proximité du fait qu'Ang Lee a préféré jouer sur un rendu 3D complètement dépassé des cascadeurs artificiels Will Smith senior et junior. Je ne crois pas que penser au Neo de Matrix Reloaded sorti tout droit de la vallée dérangeante lors de son combat face à une myriade d'agents Smith ait été l'intention du réalisateur. C'est pourtant très précisément ce que ça m'a rappelé : un effet numérique vieux de plus de 15 ans (qui, à l'époque, était au service d'une séquence ambitieuse impossible à réaliser autrement, alors que dans Gemini Man...).
Nous avons droit à deux doublures numériques qui se cognent à proximité l'une de l'autre, dans le noir... dans... le noir... et même dans cette scène-là on reconnaît les mouvements anormalement rapides, sans inertie, masse ni gravité — bref, sans la moindre illusion de réalité physique. Pour résumer : si vous êtes venus voir Will Smith dans ce film, sachez que vous ne l'aurez que pendant les phases de dialogues car les scènes d'action correspondaient certainement à ses pauses café.
(J'ai entendu quelqu'un dire que c'était un film à regarder en 3D pour en profiter pleinement, ce que je n'ai pas fait ; peut-être suis-je passé à coté d'une sensation futuroscopique sans précédent... toutefois je ne crois pas une seconde que ça puisse racheter tous les défauts sus-cités.)


Voilà... que nous reste-t-il ? Ah oui... tout ce qui n'est pas de la bouillie, pardon, de l'action. Encore de la bouillie, en fait. La réalisation, la mise en scène ? Ne vous attendez pas à quoi que ce soit : quand on met un filtre bleu pour simuler la nuit, c'est généralement un signe flagrant de faiblesse lors du processus de création (par manque d'investissement ou de moyens). Concernant l'effet de rajeunissement (le de-aging) de Will Smith, c'est un procédé auquel on est assez habitué maintenant (notamment grâce aux films Marvel) ; le fait que la magie opère ou non dépendra de votre cerveau et de votre capacité naturelle à discerner le vrai du faux. Grosso modo, je trouve que le rendu est plutôt réussi : rien de transcendant mais, au moins, ça n'insulte pas la rétine.


Voilà voilà... j'ai le sentiment d'oublier quelque chose...


... Ah ! L'histoire. Bon, je ne vais pas vous raconter l'intrigue ni la décortiquer car n'importe qui a remarqué l'absence de cohérence générale. Je vous laisse ce plaisir, si vous vous décidez à voir ce film armé d'une bière (voire d'un pack ou deux). Je ne vous parlerai pas non plus des dialogues insipides et amateurs, des clichés à la mords-moi-l'nœud, des problèmes de rythme ou des comportements de personnages forcés et versatiles. Tout le monde a des yeux et des oreilles pour constater cela. Je me limiterai à essayer de traiter très vite fait de l'intention derrière l'histoire — en la déshabillant autant que possible des éléments de l'intrigue pour rendre le pitch le moins ridicule possible.


Gemini Man est l'histoire d'un assassin, Henry Brogan. Un homme qui n'a connu que conflit, mort et méfiance toute sa vie. Arrivé à la cinquantaine il se voit rattrapé par sa conscience et décide donc de prendre sa retraite pour profiter autant que possible du reste de son existence (concept nouveau pour lui). Or Henry, par la force des choses, apprend ce qu'il ne devrait pas (l'existence du projet Gemini) et doit donc disparaître. Mais étant le meilleur dans sa catégorie, le seul capable de l'arrêter serait lui-même ! Le projet Gemini envoie donc une version plus jeune, plus rapide, supposément plus performante de lui-même à sa rencontre. Ce face à face entre Henry et son double déclenche chez lui un instinct de préservation, pour se sauver lui-même, sauver l'innocence qu'il a jadis perdue et offrir à sa « progéniture » la chance d'avoir une vie qu'il n'a pas pu connaître...


Bref, le genre de choses qui aurait peut-être eu plus de poids émotionnel si on avait pris un certain Jaden Smith plutôt qu'un Will Smith rajeuni. Cela aurait eu pour mérite d'ajouter une narration meta au film. Mais voilà le cœur de l'histoire que Will Smith essaye de vendre toutes les deux scènes en flirtant lourdement avec le surjeu dramatique.


Si vous êtes très très très sensible à ce type d'histoire, peut-être pardonnerez-vous tout le reste. Pour ma part, non. Ce film me rend triste, triste pour tous les gens impliqués, triste pour l'argent gaspillé dans un projet qui semble dépourvu de passion, de légèreté, de spectacle. Bref, un film gonflé avec beaucoup de vide.

Apocatadys
2
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le 12 oct. 2019

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Apocatadys

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