Hop, petit message au début, pour vous prévenir que je spoil un peu le film...


Critique beaucoup plus courte que les précédentes, où je vais surtout m’intéresser à un plan, en particulier.


Le plan-séquence qui va nous intéresser maintenant est celui du film « Gangs of New York », réalisé par Martin Scorsese et sorti en 2002.


Martin Scorsese est un réalisateur de renom et compte à son actif de nombreux grands films tels que « Taxi Driver », « Casino » ou même plus récemment « The Irishman ». Scorsese excelle de par une direction d’acteur (Jack Nicholson, Robert De Niro, Leonardo DiCaprio) et une mise en scène irréprochables : Nous pouvons prendre l’exemple de la scène du film « Les Affranchis » et de sa séquence mythique au Copacabana qui est un des plans-séquences les plus réussis et mémorables du cinéma. Scorsese nous expose déjà toute sa maîtrise de la mise en scène avec l’arrivée de ce couple dans un restaurant, doublant tout le monde, passant par les cuisines et s’installant à la meilleure table en n’oubliant pas de distribuer un pourboire à ceux qu’ils croisent. Une entrée majestueuse, donc, et un des plus haut fait d’armes du réalisateur.


Martin Scorsese n’en est, donc, pas à son coup d’essai avec « Gangs of New York ». Un film qui nous raconte l’histoire d’Amsterdam, interprété par Leonardo DiCaprio, dont le père décède suite à une rixe face à un « gang » adverse, mené Bill Le Boucher, interprété par l’immense Daniel Day-Lewis. Des années plus tard, il revient dans le quartier de « Five Points » afin de venger son père. Le passage qui nous intéresse se trouve un peu avant le milieu du film (après 1h10 passée) et Amsterdam a réussi à être pris sous l’aile de Bill.


Mais, je vais tout d’abord expliquer ma note. En effet, je l’ai beaucoup aimé : des personnages et histoires intéressantes à suivre, des scènes d’actions bien réalisées, une musique soignée et de très bons acteurs. Un en particulier, qui crève l’écran : Daniel Day-Lewis qui se donne à fond, une fois encore, pour ce rôle. Un des meilleurs acteurs de notre époque. On sent qu’il s’est totalement investi pour donner vie à ce personnage perfide et menaçant. Il a un charisme de dingue et porte ce film à lui tout seul. Aussi, j’aime bien l’affiche du film : celle montrant un drapeau déchiré. Certainement pour montrer la destruction du pays, à cette époque. Mais le bas du drapeau forme la ville de New York que nous connaissons. Une lute nécessaire pour reconstruire une ville nouvelle, un mal pour un bien.


Le film date de 2002 et le plan-séquence est déjà, et ce depuis plusieurs décennies, possible. Celui à notre étude ne dure qu’une minute alors que de nombreux réalisateurs en ont fait et ce avec une durée plus conséquente : ici on est loin d’un « Snake Eyes » et de ses 13 minutes. Donc, nous n’avons pas là LE plan-séquence du cinéma, mais au sein même du film, nous avons le plan le plus long. A vrai dire, les plans longs ne sont pas monnaies courantes dans ce film : Nous pouvons prendre l’exemple d’un plan de 30 secondes, au début du film, montrant la puissance de Bill, avançant tout en éliminant ses adversaires. Donc, les longs plans se font rares et surtout lors des scènes d’actions qui sont extrêmement coupées, beaucoup de plans ont une durée inférieure à une seconde. Elles sont donc très dynamiques et le spectateur voit la violence et la non-organisation de la bataille, la caméra n’étant ni fixe ni stable. Et la guitare électrique, lors de la première confrontation sert bien ce propos. Beaucoup de ralentis, des ralentis saccadés notamment, qui témoignent de cette violence, et des gros plans sur les blessures des victimes pour montrer explicitement les horreurs de la guerre…


Le plan-séquence choisi est, donc, entouré de plans assez courts, ce qui le rend mémorable et intriguant. Pourquoi l’avoir mis à ce moment précis ? Pourquoi utiliser cette figure de style ? Donc, venons-en aux faits : Scorsese, avec ce film, nous emmène aux origines de New York et veut nous montrer les différents bâtisseurs de cette ville, venant de tout horizons, ainsi que la façon dont ils sont traités. Et il réussit à illustrer tout son propos en une minute. Avant ce plan-séquence, nous avons droit à l’arrivée des immigrants irlandais, ainsi que les commentaires péjoratifs de Bill à leurs égards, faisant preuve d’un nationalisme extrême en plus de s’autoproclamer « natif » alors que ses parents, eux, venaient d’Europe, mais surtout, en oubliant les véritables Natifs : les Amérindiens.


 « I don't see no Americans. I see trespassers, Irish harps. Do a job for a nickel what a nigger does for a dime and a white man used to get a quarter for. What have they done? Name one thing they've contributed. »


Un politicien lui dit qu’il va l’encontre de l’avenir du pays et Bill réplique qu’ils ne parlent pas du même avenir. Le plan-séquence commence enfin et nous montre l’arrivée et le recensement des immigrants irlandais, ainsi que leur enrôlement dans l’armée. On voit ces voyageurs se transformer en soldats, monter dans un navire et enfin des cercueils descendant du bateau pour revenir au pays. Ce plan décrit et illustre le sort funeste des immigrants…


Rentrons dans les détails : Donc, le plan commence sur un plan rapproché épaule de Bill tenant Amsterdam, le forçant de le suivre. Amsterdam n’a pas l’air si décidé que Bill puisqu’il va regarder en arrière à deux reprises. Mais, alors que l’on pouvait les suivre, la caméra en décide autrement et décide qu’ils ne sont plus intéressants, pour le moment, et efface ses personnages et avec eux l’intrigue du film. Elle abandonne le thème vu et revu de la vengeance, pour montrer quelque chose de différent, illustrer un autre propos. De plus, c’est le plan le plus long du film, c’est un plan qui est en-dehors du film, comme s’il était là pour marquer un temps de pause. Donc, les personnages principaux sortent du cadre et avec un travelling avant, en rapproché taille, voire épaule pour certains, afin d’être au plus près de ces soldats malgré eux, on suit le sort des immigrants irlandais qui vont devenir des citoyens américains et être contraints de se battre pour leur pays. On suit des personnages avancer vers leurs équipements, un se retourne pour, peut-être, montrer sa crainte et son manque d’assurance. On les voit s’habiller en soldat, remplacer leur casquette de civils pour une autre, comme si devenir un soldat ne prenait que quelques secondes, sans véritable entraînement, tant qu’ils ont une arme à la main, ils sont aptes à aller faire la guerre. Guerre qui ne les concerne pas vraiment : en effet, un soldat se demande où peut bien se trouver le Tennessee. Maintenant, la caméra montre, en travelling arrière, le cadre toujours aussi serré et centré sur ces personnages, les soldats attendant de monter à bord, une famille est venu dire adieu à l’un d’entre eux. En montant sur le pont du navire, un soldat se demande s’ils vont être nourris : Ces voyageurs, devenus soldats en un clin d’oeil, viennent d’Irlande pour échapper à la famine et dans l’espoir de faire fortune, pour sauver leur famille, mais vont finalement servir de chair à canons, comme le montre la dernière partie de la séquence : des cercueils descendant du navire pour revenir au pays. Ici, la caméra s’élève, nous pouvons penser à une analogie avec le Ciel : elle n’est plus à terre avec les vivants mais au ciel avec les morts. Tous ces soldats ne reviendront que dans ces boîtes. Le plan se termine sur des rangées de cercueils et assez de place pour accueillir les nouveaux arrivants. Ce plan, montre quant à lui, les horreurs de la guerre de manière implicite…


Sur le plan sonore, une musique diégétique accompagne la majeur partie du plan : une musique militaire rythmée par un tambour notamment. D’ailleurs, elle commence peu de temps avant ce plan : en effet elle débute lorsque Bill se met à parler de son père et de son sacrifice en tant que « vrai » Américain, il enlève alors son chapeau et le porte à son coeur en guise de respect, mais le remet aussitôt lorsqu’il évoque ces soldats étrangers. Donc, les irlandais deviennent des soldats au rythme de cette musique…Mais...mais une autre, extra-diégétique surgit : « Paddy’s Lamentation », interprétée, ici, par Mary Black. Cette chanson est en parfaite adéquation avec le propos de Scorsese, puisqu’elle raconte l’histoire de Paddy, un irlandais voulant quitter la misère de l’Irlande pour espérer trouver mieux aux Etats-Unis. Il a quitté sa famille pour les aider mais est sûr de ne plus jamais les revoir. Il perd sa jambe à la guerre et ne reçoit qu’un bout de bois et rien de plus, contrairement à ce qu’on leur vendait. C’est une chanson mélancolique et ce grâce à cette voix qui dégage une telle tristesse, dans la tonalité mineure, d’ailleurs. Black exprime, ici, sa plainte envers ce pays. Le passage utilisé dans ce plan, nous dit qu’à peine débarqués, ils vont devoir repartir se battre pour un certain Lincoln.


Well meself and a hundred more, to America sailed o'er
Our fortunes to be made we were thinkin'
When we got to Yankee land, they shoved a gun into our hands
Saying "Paddy, you must go and fight for Lincoln"


Le refrain sera entendu un peu plus tard (lorsqu’ils s’apprêtent à monter sur le navire) qui exprime les regrets de Paddy : ceux d’avoir quitté sa terre natale pour venir aux Etats-Unis, contraint de participer à une guerre qui ne le concernait pas…


There is nothing here but war, where the murderin' cannons roar
And I wish I was at home in dear old Dublin


Aussi, cette chanson vient venir étouffer la musique militaire (l’une étant plus forte que l’autre), pour exprimer les regrets et l’erreur des immigrants. Suite à cela, une dernière musique apparaît, une musique typiquement irlandaise d’ailleurs, lorsque les cercueils quittent le navire, en hommage certainement à ces soldats. Enfin, il y a un raccord son d’une voix criant : «My children ! » : ironique, puisqu’il les envoie à la guerre... Après un fondu enchaîné, on découvre que c’est un homme déguisé en Abraham Lincoln pour une pièce de théâtre le dénigrant...


Donc, les Irlandais sont mal traités et ne sont utiles que pour voter ou aller à la guerre. Voilà, le propos du film : parler des ségrégations ethniques d’une ville et de la peur des immigrants, des envahisseurs comme dirait Bill. Durant ce plan-séquence nous pouvons voir toute la maîtrise du réalisateur Martin Scorsese, puisqu’il faut gérer un nombre de figurants conséquents et nous pouvons remarquer que la caméra est toujours en mouvement et l’élévation, à la fin du plan, doit être synchronisée au millimètre près. C’est toute une organisation pour seulement une minute de film. Mais, le fait qu’il ne dure qu’une seule minute peut être symbolique. En effet, cela pourrait signifier qu’il ne faut qu’une minute pour passer de civils à soldats et de vivants à enfermer dans un cercueil. Enfin, et nous finirons là-dessus, la caméra décrit une forme de cercle, en tournant autour de ces personnages, ce qui pourrait vouloir dire, que c’est un cycle sans fin qui se répétera encore et encore…


Pour conclure, nous pouvons dire que c’est un plan-séquence intéressant pour le propos qu’il avance bien qu’il n’ait pas de véritable enjeux dans le film si ce n’est de rappeler aux spectateurs et aux personnages que leur guerre de gang n’importe peu, voire pas du tout, comparé à la guerre civile qui ravage et désunit les Etats-Unis. Au lieu de s’unir, ils préfèrent faire l’inverse : prendre part à la mauvaise guerre…


Nous allons finir, avec la fin finalement, (incroyable) notamment sur le dernier plan du film.
Bill et le prêtre sont enterrés l’un à côté de l’autre et le couple s’en va, ne laissant que le cimetière et la ville au dernier plan. Et grâce à des fondus enchaînés, le réalisateur nous montre l’évolution de New York et la dégradation du cimetière. On les a oublié, on a oublié cette guerre de gangs, on les a même effacé du paysage. Mais, c’est en même temps, grâce à cette époque, que la ville que l’on connaît est née. Enfin, ce n’est pas vraiment la ville que l’on connaît. En effet, les Tours Jumelles sont visibles lors du dernier plan et Martin Scorsese se justifie de cette façon :


"This movie it's about the people who built New York, not those who tried to destroy it."

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le 13 avr. 2021

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