Fury ou le lynchage d’un innocent, interroge sur les notions de justice et de responsabilité collective.


C’est un echo à ce que nous vivons de nos jours sous des formes différentes : le lynchage médiatique est désormais monnaie courante. Les foules s’échauffent, accusent et assassinent à coup de posts, le temps n’est pas à la réflexion mais à l’impulsion. Le jour tant attendu de ses retrouvailles avec sa fiancée, le bon Joe, un honnête au coeur tendre, est victime d’un lynchage physique, lui, accusé à tort d’un kidnapping. Un journaliste en mal de Une, un politique en période électorale et hop , le tour est joué: une foule manipulée et ivre de vengeance investit et brûle le bureau du shérif, dans le but de faire son compte à Joe et son chien Rainbow.


Joe parvient à s’échapper de sa cellule en flammes sans être aperçu. Tout le monde le croit mort. Il décide alors de fomenter sa vengeance et de ne pas réapparaître à la vie pour mener à l’échafaud les responsables de son lynchage. Par ce sacrifice, il entend leur offrir le jugement en bonne et due forme qu’ils lui ont refusé.
Le film aurait pu en rester là et c’était déjà génial, mais c’est sans compter sur un Fritz Lang qui lui, entend aller beaucoup plus loin dans sa fable philosophique. Joe décide alors de ne pas révéler avoir survécu afin que la horde ( la populace comme le dit le gouverneur) qui l’a lynché soit jugée, pour un homicide volontaire qu’elle n'a pas commis.


Le déroulement du procès est édifiant. Comment rendre justice d’un crime collectif en 1936 ? Personne n’est responsable individuellement pourtant une haine passionnée s’est abattue cette nuit là et les hommes et femmes du petit village de Strand, irraisonnés, assoiffés de vengeance ont voulu tué ce présumé accusé. Fritz Lang interroge ici sur la notion de responsabilité collective.
Lors de l’interrogatoire des témoins, même le shérif refuse d’identifier les coupables individuellement. Il préfère répondre que ce sont des étrangers qui étaient là. Le fameux étranger qui collectionne tous les travers. Dans le film ce ne sont pas les barbares des Grecs qui sont évoqués mais les Peaux-rouges avec humour.


Et cela ne s’arrête pas là. A l’issue du procès après que les témoins ont tous juré devant Dieu que les accusés étaient chez eux et non en ville, le jeune procureur, projette en séance un film amateur de la nuit du crime, mettant en évidence de manière irréfutable la présence des accusés sur le lieu du crime. Le visionnaire Fritz Lang trouve là l’occasion de mettre à l’honneur son art.
Ainsi, le procureur prouve non seulement la responsabilité des accusés mais également le parjure des témoins qui méprisent la vérité.


Fritz Lang met le doigt sur cette notion de Justice qui n’est ni morale, ni éthique. Car la Justice au sens absolu n’existe pas . Cette notion inventée par les sociétés n’existe pas dans la Nature.


La défense invoque alors l’absence de crime par l’absence de corps. Le procès traine en longueur, Joe s’essouffle, obsédé par son désir de vengeance, il est prêt à sacrifier son bonheur avec Katherine. L’expressionnisme de Lang, sert à merveille l’obscurité dans laquelle sombre ce bon Joe qui perd la mesure, devient noir et sans contraste.


Ce film nous montre, toute ressemblance avec des faits réels étant fortuite, le déchaînement d’une foule irraisonnée qui légitime la violence en vertu du contrat social. Lang s’exile dés 1934 et Fury est son premier film américain. Clairvoyant, il met en garde contre la violence inouïe dont est capable l’esprit grégaire intrinsèque à notre nature.


Joe ne sombre pas définitivement du côté obscur et parvient à trouver la paix. Car c’est là le rôle d’une fable, illustrer les erreurs et faiblesses humaines et tenter de nous mettre sur le chemin du Bien. Mais quoi que déjà très compliqué, l’histoire nous montre que la paix est encore plus simple à trouver dans son for intérieur qu’au sein d’un peuple, melting pot d’intérêts individuels.

Cesarum
9
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le 31 janv. 2019

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