On ne l’arrête plus.
Depuis son retour en France avec Au poste ! le vénérable Mr. Oizo nous gratifie d’un film tous les ans !
…Et encore, avec la sortie très tardive de Incroyable mais vrai au regard de ses dates de tournage (Covid ?), ce Fumer fait tousser en devient carrément le deuxième film du réalisateur parisien de 2022 ! Rien que ça…


Alors forcément, avec une telle cadence de production, on serait clairement en droit de se demander si l’inspiration parvient à suivre. Et ce questionnement, il se trouve que je me le pose désormais assez régulièrement concernant le cinéma de Dupieux (bah tous les ans en fait ;-) et la plupart du temps pour obtenir au final la réponse…
…Et cette réponse c’est un drôle de oui-et-non.


Forcément c’est un grand « oui » sitôt je considère l’effet que peut procurer ce film si on prend la peine de le découvrir, comme moi j’ai pu le faire, sans rien en savoir.
Ce Fumer fait tousser est un festival dès la première minute.
Que vient donc de surprendre au bord de la plage cette famille qui s’était arrêtée là juste pour faire pisser le petit ? A peine le film prend-il la peine de faire monter le pseudo-suspense que déjà l’apparition de la réponse en image m’a fait décrocher mon premier ricanement.
C’est inattendu – la bascule brutale d’un code de cinéma à un autre est totalement absurde – et comme souvent avec Dupieux on fait ça avec une assurance sans faille. Du grand art…


…Et la magie veut que ça n’arrête jamais. En tout cas, en ce qui me concerne, les dix premières minutes étaient tellement denses en termes de trips perchés que ça m’a enchainé de la meilleure des manières.


Non mais quand-même – pour ceux qui ont vu – c’est un véritable festival ce début, non ?
D’abord on nous pose un cadre bien franchouillard à base de clopes, de plages et de Gainsbourg et d’un seul coup – bim ! – un combat de sentaï !
Et v’là-t-y pas qu’on nous dit que le groupe s’appelle la « Tabac Force » et que chacun de ses membres a un nom de toxine de cigarette ! Vlan !
Puis on nous affiche Gilles Lellouche et sa grosse bedaine moulée ! Pif !
Des giclées de sang à l’enchainement absurde ! Paf !
Un robot à la con qui sort de nulle part ! Bang !
Un rat Splinter qui parle avec la voix d’Alain Chabat et qui bave de manière chelou sans que ça ne semble surprendre personne ! Boum !
Et derrière ça la famille qui demande sa petite photo et Gilles Lellouche qui nous explique après tout ça que le tabac c’est mal et que personne ne fume parmi le groupe ?!
Ah mais moi je suis achevé après une introduction comme ça !



Seulement voilà, Dupieux reste Dupieux, et quiconque le connait bien saura que le problème de son cinéma ne repose jamais sur ses débuts mais plutôt sur ses cheminements.
Faire de l’absurde en jouant des codes, c’est certes efficace, mais pour que ça marche sur l’ensemble d’un long-métrage, il faut être capable de maintenir un minimum de structure et de rigueur narratives pour que l’effet de rupture puisse encore fonctionner…
…Et le problème avec Dupieux, c’est que c’est souvent compliqué de tenir sur le temps long. Il avait fini par trouver le graal à la fin de son cycle californien avec Réalité, mais depuis qu’il est de retour en France on sent bien qu’il tâtonne à nouveau à la recherche d’un nouvel équilibre…
…Or, sur ce point, il semble manifeste avec ce Fumer fait tousser que le bon Quentin a tenté de nouvelles pistes, mais sans me convaincre pleinement pour autant de leur pertinence…


…Car pour ce film, Quentin Dupieux a tenté de conjurer le sort avec une sorte de formule à sketch.
Certes il y a bien un fil conducteur tout du long avec les mêmes héros et la même situation, mais cette intrigue principale est entrecoupée d’histoires racontées dans l’histoire – trois en tout (voire quatre selon comment on compte) – lesquelles n’ont clairement rien à voir entre elles…
…Et c’est là que le bât blesse un peu.


En elles-mêmes, chacune de ces histoires est bien menée, efficace et source régulière de ricanements. Seulement voilà, au bout du compte aucune d’elle ne se finit jamais vraiment – n’atteignent aucun climax – et se concluant à chaque fois de manière abrupte, sitôt celle-ci commence-t-elle à s’égarer.
Alors en soi, c’est vrai que c’est une stratégie de contournement du problème pas si bête que ça. Dupieux doit sentir qu’il peine à mener ses situations sur le long terme, alors il préfère accumuler quatre segments courts mais efficaces plutôt qu’un long segment qui patine.
De plus, en coupant à chaque fois arbitrairement ses segments, il parvient à rajouter une couche d’absurde à une trame principale qui était déjà riche à ce sujet.
Encore une fois c’est malin…
…Et puis au fond c’est efficace, et ce serait quand-même malhonnête de ma part de ne pas lui reconnaitre ça.


Sur 1h20 de film, j’ai quand-même bien ricané. Et quand je n’ai pas ricané, j’avais un petit sourire amusé aux lèvres.
L’ensemble se conclut d’ailleurs comme chacun de ces sketchs ne cessait de nous l’annoncer depuis le départ : brutalement et de manière absurde.
En soi c’est un joli pied de nez. J’accepte.
Mais d’un autre côté, je ne peux m’empêcher de trouver ça encore une fois un brin facile ; pour ne pas dire un brin léger.


Je ne suis pas Dupieux et je n’ai clairement pas le talent nécessaire pour pondre ses compositions lunaires, néanmoins, quand je me retrouve face à ses œuvres, je me dis toujours qu’il y a de belles occasions manquées pour aller plus loin et pour braquer la banque au passage.


Moi, par exemple, j’aurais poussé le bouchon plus loin concernant ces sketchs qui servent de respiration au sein de l’intrigue. Au départ, ces sketchs amusent de leur absurdité justement parce qu’ils n’ont rien à voir avec l’intrigue principale, mais quand à la fin j’ai constaté qu’en fait l’intrigue de la Tabac Force n’est qu’un sketch parmi tant d’autres qu’on a juste découpé pour donner artificiellement du liant à l’ensemble, je me suis dit que c’était quand-même bien faiblard.
Si vraiment Dupieux voulait donner du liant, il aurait fallu que dans le dernier tiers du film il réinvestisse les éléments des sketchs au sein de la trame principale : le casque à penser, les tonneaux déversés dans le lac, la bouche du neveu Mickaël… Réintroduire ces éléments auraient à la fois permis de donner davantage d’unité tout en donnant l’illusion d’une structure forte (tout ceci aurait-il un sens ?) permettant alors de créer les conditions idéales pour de nouvelles ruptures absurdes.
En partant là-dedans – c’est-à-dire en établissant une structure faussement complexe pour entretenir l’absurde jusqu’au bout – je pense que Dupieux aurait pu se rapprocher de ce graal hexagonal auquel il aspire tant…


Mais d’un autre côté, pour suivre Dupieux depuis longtemps, je pense sincèrement que cette voie il ne la prendra jamais tant ce type de travail cinématographique le débecte.


Dupieux n’est pas un bâtisseur. C’est un chenapan.
Ce qu’il aime ce n’est pas empiler les briques de Lego pour ensuite en admirer la géométrie. Non, ce que Dupieux aime c’est de taper dans les briques tout en s’amusant de voir tout ça tomber sans noblesse.
Dupieux est là pour blaguer et c’est à la fois sa plus grande force et sa plus grande faiblesse.
C’est sa plus grande force parce qu’il est évident que ce qui ressort de ses films – et sur ce point Fumer fait tousser n’échappe pas à la règle – c’est une légèreté et une fluidité qui apportent beaucoup de fraicheur et de plaisir…
…Mais à l’inverse, ce côté presque désinvolte que prend parfois son écriture et son mépris assumé pour les codes trop convenus participent aussi à faire retomber le soufflé ; à réduire les films de Dupieux qu’en un simple rassemblement de copains pour faire de bonnes blagues.


Alors OK, c’est sûr, l’affiche est alléchante. Et même si je n’apprécie pas tout le monde, il faut reconnaitre que, sur ce point-là, Dupieux nous sort sur ce film du joli monde. Vincent Lacoste, Anaïs Dumoustier, Oulaya Amamra, le duo Marsais-Ludig, Doria Tillier, Benoit Poelvooerde et surtout Alain Chabat et Blanche Gardin. Le pire, c’est que je ne cite même pas tout le monde…
…Mais derrière tout ça il y a un aspect assez gratuit et suffisant. Il y a cette impression qu’on n’a pas appuyé sur la pédale pour essayer de tirer au mieux parti d’un tel casting parce qu’après tout, un peu de tout le monde, c’est sympa et c’est suffisant…
Perso, ça me laisse à chaque fois un petit goût d’inachevé, et moi, l’inachevé, ce n’est pas mon goût préféré…


Au fond tout se résumerait presque au titre du film : Fumer fait tousser.
Ici il ne s’agit pas de se faire tueur. Tousser est largement suffisant.
Or c’est justement ce qu’il s’est passé me concernant. Je n’ai pas fini mort de rire face à ce film. Dupieux ne m’a pas tuer. Il m’a juste fait ricaner.
Alors oui, j’ai beaucoup ricané et c’était plaisant. Mais je ne suis pas allé au-delà pour autant.
Des petits moments de rire léger pour quelques fragments de films tout aussi légers.
C’est sympa. Je ne dis pas. Mais bon…
Au rythme d’un film tous les ans, peut-être serait-il temps pour Dupieux sorte enfin un peu les dents…


Mais bon, on est déjà tout proche de 2023…
…Alors qui vivra une seule année de plus, verra. ;-)

lhomme-grenouille
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le 30 nov. 2022

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