Full Metal Jacket, sorti en 1987, et tiré de la nouvelle The Short Timers de Gustav Hasford (assez difficile à trouver), n'est pas le plus reconnu des films de Stanley Kubrick. Peut-être écrasé par Barry Lyndon, 2001, ou A Clockwork Orange ? Les quelques critiques les plus courantes que j'ai retrouvé ça et là sont la faiblesse supposée de la deuxième partie, son manque de cachet visuel (car tourné au Royaume-Uni, et non au Vietnam), ou encore son manque d'originalité (fût-elle seulement chronologique) par rapport à Apocalypse Now (1979), Platoon (1986), The Deer Hunter (1978), et j'en oublie.


Full Metal Jacket est en vérité d'une richesse fascinante, et montre l'homme face à la guerre comme peu ont réussi auparavant. Là où Apocalypse Now s'attache à peindre la dégénérescence des soldats dans la moiteur de la jungle, via des scènes inoubliables, Full Metal Jacket s'intéresse à l'évolution de ses personnages dans "un monde de merde", comment ils en ressortiront, et ce au travers d'une mise en scène bien plus subtile qu'elle peut bien le laisser le paraître. Car point de démesure visuelle ici. Les scènes sont filmées à hauteur de personnages, de leur point de vue. Lors de l'assaut de la ville, la caméra se déploie au milieu des soldats, des bruits des bottes, du cliquètement des armes, et du ronronnement des tanks (je trouve la gestion sonore de la scène remarquable en passant). Une autre scène, la caméra est celle d'une équipe de journalistes interviewant les Marines. Même si la photo est léchée, Kubrick n'est pas ici à la recherche de prouesse visuelle. Ce n'est pas le conflit qui l'intéresse en soi, mais plutôt le basculement qu'il va opérer chez Joker, le rapport de l'individu au groupe et sa puissance spirituelle, le sentiment d'indifférence/révolte/cynisme/absurdité qu'il provoque chez les Marines (cf la scène des interviews), ou encore le rapport à la mort. Et la photographie ici le montre bien à mon sens.
Full Metal Jacket doit sa force autant à ses scène de conflit (au sens large, conflit armé ou violence verbale du sergent Hartman), qu'aux petites phrases lâchées au détour d'une scène, aussi incongrues que frappantes. "Is that you John Wayne ? Is this me ?". "There's not one horse in Vietnam. There's somethin' basically wrong with that". "We are here to help the Vietnamese, because inside every gook there is an American trying to get out". "This isn't about freedom. This is a slaughter. If I'm gonna get my balls blown off for a word, my word is poontang". Des phrases dont la logique nous échappe. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont été dans le merdier. Pas nous.


L'histoire est narrée du point de vue de Joker. Sa voix off nous guide d'ailleurs. A Parris Island, lieu de formation des Marines, puis au Vietnam, près de Phu Bai. Joker est un personnage ambigu. C'est peu dire que Kubrick ne filme pas des héros. Il s'intéresse dans toute sa filmo aux hommes, à leurs subtilités et contradictions. Certains sont de belles ordures. Ici, j'ai de l'affection pour Joker. Est-il plus intelligent que ses camarades ? Il aime défier l'autorité, avec une superbe insolence : "is that you John Wayne ? Is this me ?", "Sir... does this mean that Ann-Margret's not coming?","I think I was trying to suggest something about the duality of man, sir. The Jungian thing, sir.". Il est parfaitement conscient du travail de propagande de Stars and Stripes, le journal pour lequel il est reporter de guerre. Mais rien de plus. Hartmann le brise, son pin's Peace ne fait qu'enrager un général sans aucune conséquence, et il se soumet à la force du groupe en participant au passage à tabac de Baleine. Il sait qu'il vit dans un monde merde, Baleine ne l'a que trop su, mais ne semble pas en avoir encore éprouvé toutes les limites. Son casque Born To Kill fait bien rire un autre Marine : il n'a pas le regard. "-The stare ? -The thousand-yard stare. A Marine gets it after he's been in the shit for too long. It's like you've really seen... beyond. I got it. All field Marines got it. You'll have it, too".


Joker participe à l'assaut de la ville. Ils ont en ont reçu l'ordre. Pour pas que des Gooks restés cachés ne détruisent les chars avec des B40, il faut que ce soit l'infanterie qui nettoie d'abord les grandes rues, nous expliquent Animal Mother dans un incroyable souci de pédagogie. Les doigts de Rafterman tremblent au moment de prendre des photos. Un Marine n'en revient pas d'avoir dégommé quelques Gooks.


Viennent ensuite les interviews. Chacun y va de son avis sur le Vietnam, les bridés, Lyndon B. Johnson, les conflits armés et John Wayne. Surréaliste et fascinant.


Un Marine meurt, surnommé Handjob. "Semper fi" fait écho aux harangues du sergent Hartman : "Always remember this: Marines die. That's what we're here for. But the Marine Corps lives forever. And that means YOU live forever". De toute façon personne ici ne pleure les soldats morts. "He's wasted" entend-on dire simplement. Gâché, littéralement.


Arrive enfin la scène du sniper, qui tue Snow Ball et le Doc. Cow Boy se fait ensuite tirer dessus. Il meurt en chialant, et surtout en ayant peur. La scène est filmée sans musique, seul le bruit des flammes qui consument le bâtiment derrière nous rappelle à quel point ils sont seuls. Cow Boy, Rafterman, Animal Mother se mettent à la recherche du sniper, sur une musique étrange et inquiétante que jamais je n'oublierai. Le sniper, en l’occurrence une gamine, est trouvé, mortellement blessé. Animal Mother veut la laisser agoniser. Joker s'y oppose. Entre les flammes autour de lui et le bleu de la nuit, son visage est bicolore. The Jungian thing. Il l'achève, et lève la tête. Il a le regard.


Joker peut enfin s'effacer, et marcher avec les autres chanter dans la nuit à l'unisson une singulière chanson à la gloire de Mickey. "I live in a world of shit, yes, but I'm not afraid". Il est enfin devenu un Marine, avalé par The Green Killing Machine. Sans qu'il n'ait jamais réellement eu le choix.

simmer
9
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le 14 août 2015

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