A l'instar d'Une vie cachée qui magnifiait les liens, Frantz est une belle et délicate découverte. De ces conséquences psychologiques et dommages collatéraux, on y retrouve la simplicité des gestes quotidiens, des intérieurs, source de réconfort, du bruissement nostalgique du vent dans les feuilles, rappelant à un soupçon de vie dans cet après-guerre et où fleurir la tombe vide de l'être cher devient l'activité la plus sereine, celle qui relit encore au vivant et au souvenir, à l'espoir d'un retour hypothétique, mais où la mort laissera la place à la rencontre vitale. Ce fils, ce fiancé tant désiré, que l'on attendrait encore par un miracle de la résurrection pour reprendre la vie là où elle s'est arrêtée, c'est Adrien, cet ami français qui offrira le temps de quelques mois, le retour inespéré du fils perdu, du fiancé disparu, par les souvenirs qu'il évoquera lors de repas auprès de la famille endeuillée. Les parents de Frantz dont on se demande s'ils ne sont pas dupes de la manipulation, dressent un portrait empathique de ceux dont la tristesse d'avoir perdu un enfant se démènent entre rancune et don de soi pour le reste des vivants. C'est beau, candide et simple, le récit s'emboîte à la perfection et la vérité n'est qu'un histoire de points de vue. Jouant d'un beau noir et blanc et de ces décors extérieurs révélateurs d'un drame en constante évolution, François Ozon place la femme au centre du récit alors même que l'introduction semble nous diriger sur les liens d'Adrien et Frantz, deux amis que la guerre aura réunis et séparés. Ozon joue toujours du faux pour amener une vision tronquée de la réalité. Et si l'on pense au départ par les comportements d'Adrien que les liens étaient plus charnels qu'une simple amitié, le flou de ce personnage est une grande réussite. Pierre Niney et Paula Beer évoquent chacun un romantisme désuet, leurs regards et gestes, toute la difficulté de communication, de rédemption et du travail sur le deuil. Ils sont d'ailleurs très beaux tout autant que les parfaits Ernst Stötzner et Marie Gruber. Par ce père dévasté c'est toute l'imagerie patriotique qui le confrontera à sa propre responsabilité d'avoir envoyé son fils au front. De la mère c'est tout l'amour maternelle, et le soutien à sa belle-fille qui lui permet de conserver le souvenir de son fils, soutien indéfectible de tout son monde quitte à en oublier son propre traumatisme. Mais de Kreutz (Johann von Bülow) cet ami de la famille, amoureux faussement transi, balayant allègrement les sentiments d'Anna, à la jalousie déplacée et à la haine tenace des français, ce sera la dure condition des femmes isolées à marier.


Et comme souvent chez Ozon, la femme mène le récit. C'est par Anna que le réel sera modifié, l'histoire réécrite et détournée. Par la révélation du mensonge d'Adrien, élément déclencheur au réveil d'Anna, c'est elle, qui a son départ fera le même voyage vers la France pour le retrouver, et décide de continuer l'histoire à sa manière, instigatrice à son tour du mensonge, à préserver ses beaux-parents, mais que l'on suppose victime de ses propres fantasmes.


Un léger bémol dans sa redondance quand Ozon reprend pratiquement les mêmes scènes à révéler les traumatismes de la guerre, et la nécessité du pardon, entre Adrien en Allemagne et Anna en France. Les inserts colorés s'ils marquent également ce retour à la sérénité, les séances de chants, de piano ou de violon, ce rapport à l'art et à la nécessité d'en saisir les métaphores, sont peut-être trop nombreux. Pourtant quelques belles scènes viennent étayer le parcours d'Anna dans une France dévastée, pour se rattraper par l'ultime rencontre et résolution des deux personnages.
On pense aux œuvres romanesques de Maupassant et ses contes parfois cruels, à l'égoïsme de ses personnages ou à leur inconscience quand on retrouve Adrien en son château pour nous révéler sa famille, ses devoirs, son environnement bucolique, et ce tragique de l'existence. Adrien ne sera malheureusement pas à la hauteur des attentes d'Anna. Des adieux d'une grande intensité où le drame de la guerre laisse la place à celui plus larvé des règles familiales et domaniales pour la difficulté d'une jeunesse constamment soumise.
En ne tombant pas dans ce qui est attendu, Ozon termine de toute beauté cette passion salvatrice et avortée.

limma
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le 20 mars 2022

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