« France de Meurs » est un jeu de mot trop évident pour être honnête. Comme souvent avec Bruno Dumont, il cache un double sens (la France « meurt » mais également « demeure »), et surtout un troisième : il est d’une impertinence totale. France est certes un peu le travail de sape du journalisme français promis, mais la satire ne fait pas long feu. Ce n’est pas plus mal tant elle manque de subtilité : journaliste arriviste qui fabrique ses « reportages », directrice de com’ d’une bêtise infecte, public « d’idiots utiles », rien n’est épargné au spectateur.


Mais Bruno Dumont, jamais tout à fait où on l’attend, a vite fait de mettre de côté son allégorie de la France pour plonger dans un mélo noueux qui balance son heroïne au supplice. C’est que France tient plus de Camille Claudel 1915 ou de Jeanne que de Ma Loute. S’y retrouve la même obsession doloriste pour l’état de grâce, que Dumont prend ici un malin plaisir à refuser à cette femme odieuse qui ne le mérite pas. France en prend plein la gueule : dépression, burn out, scandale, deuil, trahison, tout en continuant à arpenter pernicieusement des pays en guerre qui échouent à la renvoyer à sa petitesse.


Tout l’exercice d’équilibriste du film se retrouve dans la double évocation d’une femme à la fois insupportable et touchante, puisqu’obsédée, comme tout le monde, par la possibilité d’enfin trouver sa place dans le monde. La tâche confine au religieux et n’est qu’à moitié réussie : Bruno Dumont parvient parfois à évoquer cette inadéquation avec une grande sensibilité (une larme versée en plein reportage), tandis que d’autres occasions sont manquées, soit trop convenues (le mariage qui s’essouffle), soit trop soulignées (le dernier monologue de France).


Ce qu’il en reste, c’est que derrière une façade « accessible » (sujet dans l’air du temps et star en tête d’affiche), France est un des films les plus fuyants, sinon hermétiques, de son auteur. Son ambition vaut le détour, mais pas sûr que la seule folie mystique de Bruno Dumont suffise à l’exaucer. La belle musique du regretté Christophe et la performance au diapason de Léa Seydoux donnent heureusement un peu de liant à ce film déconcertant, mais toujours étonnant.

ClémentRL
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le 27 août 2021

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