À tous ceux qui détestent le cinéma de Bruno Dumont : JE VOUS AI COMPRIS !


Enfin ça, c'était avant de voir France. Pour résumer mon point de vue sur ses trois films précédents (puisque c'est mon bagage avant d'entrer en salle pour voir France), c'est pour moi 60% de malaise et 40% de beauté exceptionnelle, que j'ai du mal à expliquer d'ailleurs. Entre les scènes musicales dans Jeannette, la solennité qui se dégage de certains plans-clé de Jeanne avec aussi l'intérieur de la cathédrale d'Amiens magnifiquement bien filmé ou encore la tendresse de la relation entre les deux gamins de Ma loute, on peut lui reprocher tout ce qu'on veut à ce monsieur, je trouve quand même dans son œuvre des choses qui me touchent.


Avec France, la donne change un petit peu car cette fois-ci on a un trio d'acteurs professionnels connus et reconnus à l'affiche (je sais qu'il y avait Lucchini et Binoche sur Ma loute mais ils ont un jeu moins en décalage des autres acteurs qu'ici), et pour moi ça fait la différence. Déjà, dans le sens où le film a été promu différemment, on a l'impression en voyant la bande-annonce d'avoir une nouvelle comédie franchouillarde à l'affiche, alors que France est bien plus subtil que ça et bien plus tragique qu'il n'en a l'air.


Venons-en donc au film, ce n'est pas tellement la critique des médias qui semblait être annoncée. Il y a bien une critique des médias mainstream, d'ailleurs très bien mise en image je trouve avec l'image qui est salie pour les passages TV. C'est d'ailleurs pour moi un effort minimal que beaucoup de cinéastes ne font pas lorsqu'ils intègrent de fausses séquences de journaux télévisés dans leurs films, à tort. Là, Dumont délaisse à chaque fois pendant quelques minutes ces couleurs froides qu'il affectionne tant pour ses images et se prête au jeu des couleurs bien trop vives des plateaux télé, qui maintiennent le spectateur éveillé, ou l'image assez laide des reportages tournés "à la sauvage". Cette partie sur les médias c'est la face immergée de l'iceberg. Dumont ne cherche pas à être très acerbe vis-à-vis de ces médias mainstream qu'il détruit plutôt fidèlement quand on fait le tour de ce qu'on a pu voir sur les chaînes d'info en continu ces derniers mois. Gaffes en direct, journalistes stars, intervenants qui se chamaillent à la télé uniquement pour le show sans aucune animosité dans le privé, tout ça pue le vrai parce qu'on a pu le voir nous-même auparavant. Et en soi ce n'est pas subversif. La mise en scène des reportages qu'on aperçoit dans la bande-annonce, ça donne lieu à de belles séquences aussi, et c'est vrai qu'on a pas souvent ce recul face aux images qu'on voit dans les reportages télévisés ou sur internet qui reprennent la même formule. Tout est monté avec des plans de coupe, les angles nous donnent une sensation d'immersion alors que ceux qui tiennent les caméras sont loin des problèmes qu'ils filment, tout ça c'est bien retranscrit dans le film.


Mais ce que je trouve beau et touchant avec ce long-métrage, c'est que Dumont nous montre ce que c'est d'être détruit par le système quand on est soi-même le système. C'est un paradoxe qu'on vit tous plus ou moins fortement à notre échelle et il est évident que pour une starlette de télévision, ça va se manifester de façon assez brutale.


On nous montre donc la mélancolie d'une femme qui a réussi sa vie et fait pourtant un genre de burn-out. Elle n'est pas vraiment soutenue par ses proches, elle va même être victime de coups bas. Il y a beaucoup de gros plans sur le visage de Léa Seydoux en pleurs, et c'est toujours filmé avec justesse. Dumont insiste d'ailleurs énormément sur les regards de ses personnages. C'est un parti pris qui peut déstabiliser, mais je pense qu'il faut se laisser porter par ces moments-là.


Les acteurs sont fidèles à eux-mêmes. Ce que je veux dire par là c'est que Blanche Gardin fait du Blanche Gardin (c'est fou de se dire qu'elle parle exactement comme dans ses sketches, un peu hésitante mais avec du débit) et Biolay est parfait dans son rôle d'auteur et mari raté, blasé par absolument tout. D'ailleurs le film a l'intelligence de se concentrer sur le personnage de France, joué par Seydoux, plutôt que de donner de l'importance à celui de Biolay pour en faire une romance à la dérive convenue. Dumont va plutôt tenter d'autres choses avec un autre personnage gravitant autour de France pour ce qui est de l'amour et c'est assez original et pertinent comme traitement. Pour ce qui est des acteurs amateurs, j'ai l'impression que c'est ce qui rebute pas mal de gens dans les films de Dumont, et je comprends ce malaise qu'on peut ressentir. Toutefois, le cinéaste capte parfaitement les regards et les personnages de Baptiste, ses parents ou même celui de Danièle sont vite touchants.


Il y a même une scène d'action dans ce film qui est tout simplement monumentale et douloureuse.


Enfin, il faut parler du travail sur le son. Je ne me souviens plus si c'était le cas pour les films précédents du réalisateur, mais comme je le disais plus haut on a beaucoup de plans assez longs sur des regards et il se trouve que lors de ces plans on a aussi droit au bruit ambiant. On est pas dans un silence pur ou uniquement de la musique, il y a le bruit de la pièce ou de l'environnement dans lequel le personnage se trouve, et ça ajoute un sentiment étrange à toutes ces scènes, ça les inscrit dans de vrais instants de la vie. Et évidemment, les choix musicaux sont assez parlants. Il y a une musique particulièrement triste, mais vraiment déchirante, qui est utilisée judicieusement à plusieurs reprises dans le film. Et il y a ensuite le plus gros du morceau : de la musique originale composée par Christophe qui nous a quitté l'année dernière. J'ai parfois du mal avec sa voix alors là de la musique instrumentale c'était parfait pour moi, surtout que c'est bien composé et arrangé. Cela donne une ambiance à part au film, en plus de tous ces facteurs que j'ai pu décrire plus haut et qui en font naturellement un film à part.


Ne vous attendez pas à une comédie ou à un drame, on est entre les deux, ou au pire des cas ni dans l'un ni dans l'autre. France regorge de belles idées qui sont bien mises en scène et méritent qu'on s'y attarde, à défaut de pleinement accrocher au film.

GuillaumeL666
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le 30 août 2021

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Guillaume L.

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