La Joconde aux oies sauvages

C'est incroyable, pourquoi vivons-nous comme des sardines en boîte? Les hommes, drôles d'animaux! A quoi pensent-ils? On dirait des morts-vivant, ils font semblant de vivre. Pourquoi est-ce si grave d'en tuer, rien qu'un seul?

Sous la Vierge... la Joconde.

Muraki: Quand il reprend sa vie qu'il avait mené avant son épisode carcéral, les temps changent, ce n'est plus le même monde. Nous passons de l'action à la pure gestion forme des activités criminelles. Pour le Yakuza, rien ne change, il s'adapte, il semble représenter la norme, il est la norme, il peut ne pas répondre, il peut réagir d'une telle manière, il peut s'étonner, il peut rire, il peut ironiser, tout semble codifié de telle sorte qu'il ne paraisse jamais dépassé par les événements. Au contraire, c'est lui qui les dépasse. Il voit tout, même l'avenir sauf qu'il le voit au moment où il a lieu. Mais la dernière scène lui échappe. A la fin, Muraki doit tuer le chef du clan Imai. Il décide de le montrer à Seiko. Elle regarde, il l'exécute: c'était L'invitation au voyage.

C'est parce que tu n'as pas de famille que tu peux faire ça?

Seiko: Elle a le regard insistant, destructeur. Elle incarne la modernité, celle qui semble sans répercussion, sans influence sur Muraki. Elle conduit la voiture, avec sur le siège passager, rien qu'un homme, un seul. Pour jouer, elle perd et pour aimer, elle rit. Pour se faire attendre, il l'attend au pied d'une église, au pied de la modernité japonaise. La dispute devient alors inévitable, elle compte se droguer, Muraki n'aime pas les drogués. Elle se fait tuer: c'était Le serpent qui danse.

Yo: Il est un cosmopolite, il est métisse, il vient de Hong Kong. Il ne vient pas du sérail. Et il est dangereux, il est toujours drogué, il ne parle pas. Yo est le personnage qui refuse de survenir, il est l'autre face de la médaille. Il n'intervient pas au même moment. Le choc entre lui et Muraki est partiel et très maîtrisé. On ne les met pas ensemble et on ne les rapproche pas. Pourquoi? Parce qu'ils viennent de deux mondes différents, ils ne sont pas fait pour se rencontrer. C'est comme si un chevalier rencontrer un samouraï. Il ne faut pas!

Et puis... Avec ce meurtre (de Seiko), on a découvert son identité.
Le gardien: Muraki, c'est l'heure.
Muraki: Saeko est morte. Peu importe qui elle était. Saeko... Même après sa mort, j'ai encore soif d'elle.

Inspiré par Les Fleurs du mal, cet oeuvre de Shinoda est un chef d'oeuvre. Au lieu d'encenser la modernité, il la déplore habilement.

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !

Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !

L'un agace son bec avec un brûle-gueule,

L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Charles Baudelaire, Poème L'albatros, Les Fleurs du mal.