Mia est une adolescente qui vit dans une banlieue populaire de Londres dans une "council house", équivalent outre-manche de nos HLM. Sa mère ne devait pas être beaucoup plus vieille qu'elle quand elle l'a eue, et elle n'a pas beaucoup grandi depuis. En échec scolaire, elle se passionne pour le hip-hop, échappatoire efficace à une vie morose.

Voilà un pitch parfait pour un ratage complet, un thème surexploité dans le cinéma de ces vingt dernières années, couvert d'oeillères et de pièges de facilité et de bons sentiments déplacés. La réalisatrice Andrea Arnold les a tous soigneusement évités pour livrer un film qui est, à mes yeux, une réussite en tous points.

Fish Tank est un voyage pudique et doux dans la perspective et les pensées de toute jeune fille de 15 ans, et celles-ci ne nous sont jamais imposées, jamais explicitées, mais c'est avec la subtilité d'un regard, d'une pause, d'une intonation que le spectateur les fait petit à petit siennes, finissant par ressentir une sympathie profonde pour ce personnage pourtant aussi insupportable pour ses proches que son âge le laisse entendre. Pour arriver à ce résultat il y a bien sûr la réalisation touchante et affectueuse pour sa comédienne d'Arnold, mais surtout la justesse du jeu de Katie Jarvis, qui à 17 ans n'était finalement pas loin de jouer son propre rôle.

La photographie est parfaite, dans la droite lignée des Ken Loach et autres Shane Meadows. Les couleurs et les sons sont profondément britanniques, mais de la vraie Grande-Bretagne : pas celle de 4 Mariages et Un Enterrement, mais bien celle qu'on voit par les fenêtres du car à l'approche de Londres à la sortie du Channel. Les personnages secondaires, bien qu'éclipsés par l'ancrage profond de la caméra dans le point de vue de Mia, sont tout entiers de vulnérabilité, d'égarements, d'hésitations ; ils sont simplement humains, et on se reconnaît un peu dans chacun d'eux.

Finalement, ce film montre avant tout une lower middle-class anglaise telle que je me la représentais : éternellement adolescente, comme figée dans un mouvement perpétuel de drame social et familial. On fait des enfants trop jeunes, on les élève en s'élevant soi-même, et lorsque la distinction d'âge ne se fait plus on les vire et le schéma est reproduit à l'infini. Plutôt que de s'apitoyer sur ce constat, Fish Tank fait le choix de montrer que l'humanité, l'initiation, les sentiments purs sont possibles même dans cet environnement, et le spectateur en sort grandi.
CDots
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le 8 déc. 2010

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