“A l'oiseau le nid ; à l'araignée la toile ; à l'homme l'amitié.”

First Cow de Kelly Reichardt, prix du jury au festival du cinéma américain de Deauville 2020, est un western se déroulant dans les années 1820 en Oregon.

De l’imagerie codifiée du western Kelly Reichardt n’en a gardé presque rien. Ce qui caractérise avant tout ce film, et ça a été dit à de nombreuses reprises, c’est la douceur. C’est calme. Loin de l’action et de la fureur des westerns classiques, la grande prouesse du film c’est d’avoir réussi à faire un film doux dans un univers dur. Voulant se détacher de la figure virile du western (iconisée par Clint Eastwood dans la Trilogie du dollar), Reichardt féminise un monde viril dans un film peuplé uniquement d’hommes (pas besoin de faire endosser des rôles virils à des femmes pour faire un film féministe, et il fallait bien une femme pour nous le dire...). Jusque dans la forme Reichardt fait le choix d’un format 4:3 à la photographie granuleuse s’éloignant encore un peu plus du western et de ces vastes plans sur des paysages désertiques ; un environnement qu’elle avait déjà abordé dans La Dernière Piste, se déroulant dans la même région à la même époque. Ici elle décide de filmer la forêt et troque les chevaux pour une vache. Ce format pourrait rappeler The Nightingale de Jennifer Kent, film sortie en VOD cette année (que je vous recommande aussi au passage), avec lequel on pourrait faire de nombreux parallèles ; du regard féministe à la rudesse de ce territoire sauvage. Cependant, la comparaison avec ce film qui se déroule également dans les années 1820 mais en Tasmanie s’arrête là. Le film de Kent est tout sauf doux. Le format 1:37 y est utilisé de façon anxiogène, afin de montrer l’ultraviolente et la vrai nature des hommes ; un récit qui vire plutôt au cauchemar. First Cow est l’antithèse d’un autre western sortie cette année (et réalisé une nouvelle fois par une femme), The Power of the Dog de Jane Campion, qui tente maladroitement de déconstruire le mythe du héros viril. Comme l’écrit Olivia Cooper-Hadjian dans les Cahiers du Cinéma * :

« De façon beaucoup moins aboutie et moins fine que Kelly Reichardt dans First Cow ou La Dernière Piste, Campion lie la colonisation d’un territoire à des rapports de genre. Flamant rose égaré dans le monde des garçons vachers, Pete réveille chez Phil des pulsions enfouies et finit de remettre en cause le virilisme ambiant. »

Kelly Reichardt ne nous raconte pas la grande Histoire, bien qu’elle y aborde la naissance du capitalisme en filigrane, mais un quotidien simple et concret ; celui de deux amis, Cookie, un cuisinier, et King-Lu, un émigré chinois, qui vont voler le lait de la seule vache du coin (la fameuse First Cow) afin de vendre des beignets sur le marché de la petite colonie. Et c’est bien là l’essence même de ce film : l’amitié ; un thème très peu traité dans l’histoire du cinéma au contraire de l’amour qui y est surreprésentée ; encore moins l’amitié masculine (on peut penser à celle entre Rick Dalton et Cliff Booth dans le chef d’œuvre de Quentin Tarantino Once Upon a Time… in Hollywood). Et ce film en fait l’éloge ; de leur rencontre fortuite qui semble pourtant évidente, au sentiment de familiarité lorsque qu’après avoir trinqué « à n’importe quoi » Cookie fait le ménage et décor la maison de King-Lu, en passant par les échanges de jeux de mots et de rires. Et les voilà partis ensemble sans aucune raison. L’amitié n’a pas besoin de se déclarer. L’amitié c’est faire un bout de route ensemble, et le jour où cette route est finie, l’amitié se termine ; A l’image de ce dernier plan attendu mais d’une grande beauté fessant écho à la première scène du film.

First Cow est peut-être l’un des plus beaux films qui m’ait été donné de voir sur l’amitié, un trésor minuscule mais inestimable. Kelly Reichardt est une autrice passionnante et précieuse, à contre-courant d’Hollywood, comme ce cargo remontant le fleuve dans le premier plan du film. Ça me donne envie de revoir La Dernière Piste et Night Moves, et de découvrir ses autres œuvres, Old Joy, Wendy et Lucy, et Certaines femmes. J’attends également son prochain film Showing Up avec impatience.

A lire : https://www.critikat.com/actualite-cine/critique/first-cow-2/

https://www.critikat.com/dvd-livres/livres/kelly-reichardt-lamerique-retraversee-2/

https://www.critikat.com/panorama/entretien/rencontre-avec-kelly-reichardt/

A écouter : https://soundcloud.com/la-gene-occasionnee/episode-32-first-cow

* Faire corps avec les murs par Olivia Cooper-Hadjian, Cahiers du Cinéma, Décembre 2021 – n° 782 (First Cow est classé n° 1 du Top 10 2021 de la rédaction des Cahiers du Cinéma)

Créée

le 15 avr. 2023

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Mr. Mojo Risin

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