Ce n’est pas possible de sortir de la projection de Feu Follet du cinéaste Portugais João Pedro Rodrigues, sans avoir un sourire sur le visage et pleines d’idée dans la tête. Un film au dosage parfait entre le divertissement et la réflexion cinématographiques.

Sur son lit de mort, Alfredo, un roi sans couronne, se trouve porté par des souvenirs lointains de sa jeunesse et de son histoire d’amour avec Alfonso. Le film souligne dès son début une dualité entre la mort et… l’amour ! L’histoire du prince Alfredo et du pompier Alfonso nous semble faisant face, désarmée, à l’inévitable, à la mort : leur première rencontre a eu lieu dans un monde en feu, avec les séries d’incendies qui dévoraient les forêts du Portugal. Les deux protagonistes vont faire l’amour pour la première fois dans une forêt en cendre, sur une terre brulée. Leur dernière rencontre a été dû à la mort du roi, le père d’Alfredo, du Covid-19 : le prince devant prendre en main ses responsabilités en tant qu’héritier du nom de la famille royale, ne pourrait plus être en relation homosexuelle avec un pompier noir.

Cela nous renvoie à une idée fondamentale dans Feu Follet : la représentation d’une aristocratie, mise sur son lit de mort, par sa propre mentalité figée. Cette dernière prend esthétiquement forme par une théâtralité remarquable dans les scènes de dîner de la famille d’Alfredo. Ceux-ci sont représentés en plans fixes et frontaux où les volets de la porte se ferment et s’ouvrent comme en changement d’actes. En voyant cette esthétique particulière, on ne peut s’empêcher de penser à Le charme discret de la bourgeoisie (1972), l’avant dernier film du cinéaste Espagnol et ancien maitre du surréalisme des années 1920-1930 Luis Buñuel, dans lequel on suit les tentatives de six personnages de la bourgeoisie à Paris d’organiser un dîner ensembles : cela passe par une théâtralité bien remarquable où Luis Buñuel met en scène le monde de la bourgeoisie, une classe sociale en train de mourir, qui se cache derrière des apparences vaines l’isolant, d’une certaine manière, du monde réel. Peu après la moitié du film, l’idée de fausses apparences prend clairement forme : les six personnages qui semblent diner ensemble du poulet en plastique, se trouvent dans une représentation théâtrale marquant la fausseté et l’artificialité de leur mode de vie. En plus, la parole des personnages consiste à des répliques toutes faites, qui nous fait questionner à certains moments, le jeu d’acteurs. Cela nous renvoi aux scènes de dîner de la famille royale où on trouve des regards caméra cassant la fiction et soulignant les fausses apparences des personnages sous le regard de la caméra mais aussi du spectateur. Cette représentation caricaturale de l’aristocratie n’est qu’une critique par le cinéaste de l’héritage colonial et sa mentalité condescendante qui font parties des raisons principales de la destruction de la Terre qu’on voit dans le film. C’est la raison pour laquelle le tableau du peintre portugais José Conrado Rosa, intitulé Mascarade nuptiale, représentant le mariage de Dona Roza, la naine préférée de la reine Marie 1ère ( ), joue un rôle important dans le film : en plus de son histoire démontrant l’esprit colonial, un gros plan sur ceci derrière le lit de mort d’Alfredo dans le future sert comme une transition à la salle à manger de la famille royale dans le présent avec de la fumée de cigare du père venant de l’hors champs donnant l’impression que la pièce est en feu. Cela lie implicitement l’esprit colonial à l’état du monde actuel mais aussi à la relation amoureuse qui va naitre en suite entre le prince blanc et le pompier noir, et qui va voir ses fins à cause des différences de statut social et de couleur de peau entre les deux amoureux. Par contre, Alfonso n’incarne pas seulement l’homme de la classe moyenne et de la couleur noire mais aussi la beauté et l’art représentés par les reproductions des œuvres d’art par les corps nus de pompiers dont aucune n’est reconnue par Alfredo. Le personnage d’Alfonso a un charme qui incarne aussi la passion et la vie (ou peut être la passion de la vie). La scène de danse des amoureux, d’une grande sensualité et d’une profonde passion n’est que la preuve.

Cependant, ce qui fait l’originalité de Feu Follet n’est pas seulement les messages qu’il porte en tant qu’œuvre cinématographique mais aussi et surtout son hybridité esthétique, lorsqu’on se trouve devant une multitude de formes artistiques. En commençant par le chant dans la première séquence dans la forêt qui n’est pas loin d’être une scène d’une pièce musicale avec ses plans d’ensemble fixes faisant la transition avec la théâtralité de la séquence de dîner de la famille royale. La séquence d’entrainement de pompiers prend plutôt la forme d’une vidéo publicitaire ou d’un clip musical avec le fantasme sexuel liés à la figure du pompier. Sans oublier la scène de danse à la caserne où cette dernière ressemble à un studio de cinéma Hollywoodien faisant de cette scène un mélange passionnant entre la fantaisie et le réel. Et finissant avec la scène de funérailles qui s’approche du mélodrame où se mélange le comique et le tragique surtout avec le chant mélancolique du Fado et le jeu de mot que le chanteur fait entre le mot fatos (qui signifie le destin dans la langue portugaise) et le mot phallus. Tout cela crée la plasticité esthétique du film qui nous renvoie aussi à notre monde en collapse, en feu, en plastique et en pollution : on ne peut plus distinguer les formes mais aussi le vrai et le faux, la réalité et la fantaisie : un monde surréaliste. Ce sont donc cette hybridité de formes et cette plasticité esthétique qui font de Feu Follet une fantaisie musicale à la fois légère et sombre.

Lors de la scène d’amour dans la forêt brûlée, la position sexuelle de deux protagonistes nous renvoi à l’année de mort d’Alfredo, 2069, ce qui fait du film un voyage dans le temps en boucle fermé où rien n’aurait jamais pu changer le destin des deux amoureux mais aussi où rien n’aurait jamais pu les empêcher de s’aimer.

Hanin_ML
6
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le 9 janv. 2023

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