Quoi qu'on en pense, Festen est un film qui ne laisse pas le spectateur indemne. La vision de ce premier long métrage laisse un goût âpre dans la bouche, sans qu'on sache exactement de quoi il s'agit. Le sujet de Festen est pourtant simple : il faut traquer la bête, tuer le diable ici incarné en un respectueux chef de famille bourgeoise. Et pour cela, tous les moyens - scénaristiques comme cinématographiques - sont bons, même les plus maladroits.
S'il est évident que le Dogme n'est qu'une grosse boutade (certains ont osé parler d'une nouvelle Nouvelle Vague, elle est bien bonne), un prétexte permettant à des cinéastes parfois talentueux (revoir Les Idiots) de s'imposer un maximum de contraintes pour générer de nouveaux possibles fictionnels, il faut bien le prendre en compte afin de considérer Festen qui s'affiche de lui-même comme le Dogme 1. Or dès le premier plan celui-ci est bafoué. Un plan large d'une route déserte présente Christian téléphonant. Le spectateur entend sa voix magnifiquement postsynchronisée en studio et le principe dogmatique sur lequel est censé reposer le film s'en voit définitivement annihilé. Les entorses de ce genre sont nombreuses (la séquence onirique montrant la soeur décédée, le plan grossier dans le tube d'aspirine, ...) et contribuent à anéantir toute autre proposition de mise en scène de Vinterberg. Que les choses soient claires, le Dogme n'est qu'un prétexte et l'on se fout de savoir s'il est respecté ou non. Le problème vient du fait que Vinterberg revendique cette appartenance sans en adopter les principes et la transforme du même coup en accroche publicitaire (« Un film signé d'un pote à Lars Von Trier »).
Mais le vrai problème de Festen est avant tout un problème de mise en scène, donc de morale. Si la caméra vidéo offre une liberté totale de mouvement, une proximité des corps filmés, elle est à double tranchant. Le filmage à la va-comme-j'te-pousse de Vinterberg a souvent été comparé au compte-rendu d'une fête de famille qui dégénérerait. Or, si l'on regarde comment l'on filme, il faut simultanément s'attarder sur ce que l'on filme, à savoir ici le lynchage du patriarche. Dès lors, il nous semble assister à un quelconque snuff-movie ou à l'un de ces tragiques vidéo-gags américains, que TF1 nous diffuse dès qu'elle en récupère une image, montrant des accidents de voitures ou quelque mort survenue dans des circonstances tragiques. On pose une caméra et l'on se délecte de l'agonie du protagoniste. Vinterberg déclare dès qu'il le peut que ses acteurs n'étaient pas informés du contenu du scénario et que leur surprise lorsqu'ils apprennent l'acte incestueux est bien réelle. Si cette idée est ingénieuse, il faut le reconnaître, et génère une indéniable véracité, elle est aussi purement anti-cinématographique. Elle correspond à tromper l'acteur à qui l'on confie un rôle, à le pousser dans ses moindres retranchements, pour obtenir non pas un résultat d'acte filmé et pensé mais un bête effet de surprise quasi pornographique. Il n'y a pas de mise en scène des corps mais une délectation malsaine dans l'observation statique de l'agonie de l'un d'eux et de la réaction des autres. Comme dans un film porno, nous sommes confrontés au filmage (en vidéo, est-ce un hasard ?) brut de corps en relation puis en rejet l'un l'autre, dans une absence totale - et volontaire - de mise en scène.
Reste maintenant les personnages de Festen, puisqu'il y a tout de même un récit, qui présentent tous un caractère facho plus ou moins évident. Le père est la Bête absolue, le démon incarné sous ses airs de gentil et bedonnant bourgeois. La mère et son caractère négationniste semble nous dire qu'il ne s'est rien passé, que le mal n'existe pas et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le petit frère, Michael, est une brute épaisse, macho, facho et donnant des coups de pieds à son méchant papa. Christian, véritable figure christique du film, tente de rétablir la vérité pour que justice soit faite. Il n'empêche que celui-ci use de la loi du talion et prône la vengeance comme acte de rédemption. Son attitude est si extrême qu'on en arrive à éprouver de la compassion pour le père, idée qui semblait absolument irrecevable en ouverture de récit. Chaque coup de fourchette sur le verre en cristal est alors ressenti comme un supplice, signe annonciateur d'une torture nouvelle, et d'une complaisance évidente à nous la représenter.
Le but de Thomas Vinterberg est peut-être de nous montrer que nous sommes tous pourris, mais le plaisir malsain qu'il prend à nous asséner des ignominies et à les mettre en scène sans aucun sens moral est trop litigieux pour être cautionné. Une prise de parti si radicale semble relever du coup de gueule adolescent et ne peut qu'entraîner des interprétations douteuses. Si le père que Vinterberg veut tuer est Von Trier, il aurait bien fait, dans un premier temps, d'en retenir les leçons.
FrankyFockers
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le 23 avr. 2012

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