Femmes, femmes est un film unique, étrange, vivant - mais étrangement vivant, d'une vie dangereuse, toujours sur le point de s'effondrer ; et qu'on prolonge par le jeu, le travestissement, le saut vers un passé glorieux qui n'est plus. Derrière les murs de l'appartement, le réel cogne, frappe, s'infiltre peu à peu, insidieusement. C'est un film absolument bouleversant. Plein d'idées, de fulgurances. Un film terrible sur l'illusion, cette illusion qui devient vitale quand on a plus le choix, quand il s'agit de rire ou de se laisser mourir - et qui d'ailleurs se termine, comme il n'aurait pas pu ne pas se terminer, sur cette dualité : un dernier éclat de rire avant le râle de la mort. Les actrices sont magnifiques. Quand elles chantent (sublimement faux), quand elle rient, quand elles pleurent, toujours ce qui sourd, c'est une joie. Une joie triste, une joie incomplète, une joie orpheline. Une joie un peu forcée aussi, très peu authentique. Derrière le jeu, il y a un vide qui court et qui grandit. Il y a la vie qui crépite encore et qui ne crépitera plus. D'emblée ce qu'on voit, c'est que quelque chose dysfonctionne, que quelque chose manque, que quelque chose est terminé et qu'on arrive pas à s'y faire, qu'il faut pour cela jouer, ne cesser de jouer, jusqu'à devenir fou. Le maître mot du film, c'est la bienveillance. Paul Vecchiali est avec elles, il n'en sortira pas. Dès le premier plan séquences, les corps et les visages sont comme caressés, sublimés. Un visage rejoint un poster de Danielle Darrieux, et ce qui naît dans ce raccord est magnifique, c'est une très belle idée de cinéma. Comme disait Godard : "le cinéma, c'est un oubli de la réalité". Le réel est là, mais il faut jouer avec lui. Il faut le voir et puis fermer les yeux - puis les rouvrir et pleurer. C'est s'enfermer dans un appartement, délirer à l'infini avec deux vieilles actrices déchues, et ne rien accepter, lutter pour la joie, leur offrir ce plateau pour danser et chanter. Le film est ainsi toujours en mouvement, toujours ludique et joueur. Le jeu a cette double-fonction que de cacher et de révéler. Cacher les deux actrices du réel, agissant comme un refuge ; et en même temps, révéler - des désirs, des visages, des voix, une douleur intarissable qu'on laisse s'échapper sans faire exprès. Le jeu a cette nécessité là : être plusieurs pour se révéler à soi même. Il a cette cruauté là : à trop jouer, on s’oublie aussi, on se détache. On s'éparpille, dans la folie, dans la mort - on rejoint ce grand cimetière en dessous du balcon.

B-Lyndon
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le 5 sept. 2016

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