Fantasia est un excellent long-métrage d'animation musical produit par Walt Disney... Mais c'est aussi une expérimentation sans dialogue (excepté le chef d'orchestre et Mickey Mouse) dont le but est d'illustrer ou d'accompagner avec l'animation des thèmes de la musique classique a travers huit extraits musicaux, joués pour la plupart par l'orchestre de Philadelphie sous la direction de Léopold Stokowski en composent les sept séquences animées...
Le premier air est celui de la Toccata et Fugue en Ré Mineur de Johann Sebastian Bach. Sur ces notes bien connus du grand public, le film commence doucement, partant de prises de vues réelles de l'orchestre et de son chef pour en arriver à une vision abstraite. Couleurs pastelles et formes improbables se succèdent alors donnant une impression des plus étranges au spectateur plongé dans un univers inédit chez Mickey. Pour obtenir ce résultat Walt Disney fait appel, dans un premier temps à l'artiste allemand Oskar Fishinger qu'il délaisse finalement au profit de Sam Amstrong jugé moins avant-gardiste et plus figuratif.
La deuxième séquence reprend Casse-Noisette de Tchaïkovski dans une version que le Maître de l'animation voulait éloignée de l'image traditionnelle donnée par le ballet. Il y préfère ainsi une ode à la nature qui prend ici vie au sens premier du terme. Les elfes virevoltent, les plantes s'amusent, les poissons dansent. Et parmi tout ce petit monde en ébullition, rayonnent alors les champignons, assurément les vrais vedettes de la séquence. Animés par Art Babbitt, ils marquent en effet les esprits à commencer par le tout petit qui, sorte de Simplet, accuse toujours un temps de retard sur ses congénères. Et c'est l'extrait toute entier qui, plein de grâce et d'enchantement, prend un air d'hymne à la magie Disney.
Le troisième morceau est assurément le plus célèbre de l'anthologie. Après lui, personne ne verra plus jamais du même œil L'Apprentie Sorcier de Paul Dukas. Walt Disney veut, en fait, redorer le blason de Mickey, dont l'aura est plus ou moins éclipsée par celle de son ami canard taciturne, Donald. Il décide ainsi de le mettre à l'affiche d'un grand rôle qui marquera à jamais l'inconscient collectif de générations entières. Les puristes remarqueront sans mal que la scène où Mickey est à son apogée, est aussi celle où il ne dit mot. La Star des studios Disney revêt en effet les traits d'un personnage de pantomime, que le spectateur avait déjà pu remarqué chez l'un des sept nains de Blanche Neige et les Sept Nains, Simplet. Outre cet élément, Mickey partage d'ailleurs avec ce dernier une autre particularité : celle de revêtir une toge bien trop grande pour lui. Rendu terriblement attachant, la plus célèbre des souris rayonne de bout en bout et assoie définitivement son rang d'ambassadeur de la Walt Disney Company, tout entière.
Le quatrième air est celui du (Le) Sacre du Printemps, composé en 1913 par le russe Igor Stravinski. Jugé par beaucoup trop avant-gardiste, il est littéralement conspué par les critiques de l'époque. Walt Disney fait fi de ses attaques et s'attache même à prendre au mot le compositeur dans son approche de l'oeuvre. Ce dernier, qui participe ainsi à la conception même du film, formule le souhait de raconter les premières "années" de la Terre : de la naissance du système solaire à la disparition des dinosaures. La séquence est, à l'arrivée, très rigoureuse - voire rigoriste - du point de vue scientifique et s'appuie sur une animation soucieuse du détail. Les animaux disparus, dont l'étude des squelettes fossilisés a été minutieuse, sont délibérément réalistes. Les effets spéciaux, particulièrement aboutis, témoignent d'ailleurs de l'excellence technique recherchée. Les moyens mis à disposition des animateurs sont à ce sujet impressionnants, tel, par exemple, l'élaboration d'une cuve pleine de boue dans laquelle est propulsée de l'air afin d'imiter les bulles de laves en fusion. L'apogée de la séquence est sans aucun doute le combat entre le stégosaure et le tyrannosaure animé de main de Maître par Wolfgang Reitherman.
Le cinquième extrait reprend La Symphonie Pastorale de Ludwig Van Beethoven. Véritable bouffée d'air frais, il est en opposition parfaite avec la séquence précédente et gagne même à passer juste après elle tant le contraste est saisissant. A des années lumières de l'ambiance préhistorique, il nous propose, en effet, de découvrir les dieux de la mythologie grecque de manière inédite. La musique colle d'ailleurs pleinement au thème choisi. Ainsi, les pégases et petites licornes enchantent, Dionysos et son âne (animé par Ward Kimball) amusent, la parade des centaures émerveillent tandis que Zeus et Héphaïstos (animés par Joe Grant et Art Babbitt) impressionnent. Les décors, quant à eux, épouse l'Art nouveau et bluffent le spectateurs en osant des pelouses roses et bleues ou des cieux jaunes. L'effet, totalement rafraîchissant, est garanti.
Le sixième morceau, La Danse des Heures, s'appuie sur la musique d'Amilcare Ponchielli. Il est assurément l'extrait le plus proche de l'univers Disney proposé au public jusqu'alors. Reposant sur le capital sympathie des animaux et l'humour de dérision, la séquence est tout simplement hilarante. Le ressort comique repose avec génie sur le sérieux mis par chaque animal dans sa prestation scénique. La sincérité des participants est telle qu'elle déchaîne, un peu honteusement, l'hilarité. L'hippopotame qui remet tant bien que mal son tutu afin de cacher ses formes est, pour l'exemple, un sommet de drôlerie, tout à fait politiquement incorrecte. Le rythme contribue d'ailleurs à la réussite de l'ensemble. Tout s'enchaîne à une vitesse où l'ennui n'a pas sa place. Du réveil des autruches le matin aux éléphantes du midi sans oublier les hippopotames le soir puis la nuit venue, les crocodiles : tout ce joli monde offre un spectacle entraînant dont le final, parodie de balai, est un vrai régal.
La septième et dernière séquence est scindée en deux parties marquant le contraste entre le mal et le bien, la nuit et le jour.... dont le première air est celui d'Une Nuit sur le Mont Chauve de Modeste Moussorgski, composé en 1876. La vision proposée est une allusion à la légende selon laquelle tous les 24 juin, les sorcières organisent un sabbat sur la montagne Triglav, près de Kiev en Ukraine. Les studios Disney y convient fort habilement le personnage de Chernagog, le Dieu Noir de la mythologie slave. Cet ajout fait sûrement de la séquence l'une des plus effrayantes jamais réalisées par la firme de Mickey. La vision de l'enfer, ici dépeinte brutalement sur le mont chauve, est due à l'animateur Bill Tytla, qui, ukrainien d'origine, a eu à cœur de retranscrire fidèlement l'ambiance du mythe.... et le deuxième air est, contraste parfait, l'Ave Maria de Franz Schubert. Hymne religieux, entonné lors de la montée vers le paradis, il sert de base à une séquence, à l'opposé de la précédente. Son animation, aux couleurs douces et apaisantes, est en effet plus calme et posée. Les artistes de Disney ont d'ailleurs du réaliser des prouesses techniques pour parvenir au résultat obtenu. Une nouvelle caméra multiplans, horizontale, cette fois, a été en effet spécialement mise au point pour donner la profondeur nécessaire aux gigantesques décors et notamment entre les nuages et les arbres. Un rail de douze mètres a ainsi été utilisé pour filmer la séquence. Il en ressort une impression d'excellence bluffante.
Fantasia occupe une place éminemment particulière dans le coeur de Walt Disney lui-même et dans la filmographie de sa compagnie toute entière. Avant d'en subir de plein fouet l'échec critique et commercial, il prévoyait en effet pour son film une destinée spéciale. Le Maître de l'animation avait ainsi pour projet de sortir, de temps en temps, des versions modifiées de Fantasia en rajoutant, ici, de nouveaux courts-métrages, en ôtant, là, des anciens. Fantasia serait assurément une sorte de concert en évolution (ébullition conviendrait mieux !) permanente. Une séquence, destinée à la toute première nouvelle version du film est même déjà dans les cartons. Sa musique est celle du compositeur français Claude Debussy : Clair de Lune. Mais l'échec mémorable du film en salles a finalement raison des ambitions de Walt Disney pour son petit protégé. Il se contente, dès lors, d'intégrer la séquence en attente à La Boite à Musique en y changeant la bande-son et le nom : Clair de Lune devient Blue Bayou ! D'autres morceaux, qui étaient en phases plus ou moins avancées dans leur conception, dont quatre avaient déjà eu droit à un enregistrement sonore de leur concert dirigé par Léopold Stokowski (La Chevauchée des Valkyries tiré de l'opéra de Wagner L'Anneau des Nibelungen, Le Cygne de Tuonela de Sibelius, Aventures en Landeau et Invitation à la Valse de Weber où le personnage "Petit Pégase noir" de la séquence La Symphonie Pastorale refait son apparition) sont purement et simplement stoppés et remisés.
Fantasia est aujourd'hui considéré comme un chef d'oeuvre absolu du 7e art et au delà un véritable concentré du génie de Walt Disney.
Eric31
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le 20 mars 2015

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