A l'instar du found-footage, le slasher est un des genres les plus médiocres à mes yeux. Un nombre aussi stupéfiant que gargantuesques de productions pataugent dans la boue, oscillant entre le mauvais et le pitoyable. Les rares instants de fulgurance où l'on détecte un bon film dans tout ce chienlit sont bien trop rares. Il y a un réel problème avec ce monde interlope où les tâcherons renaclent sur d'autres tâcherons ou, pire encore, tentent de copier les modèles emblématiques du genre sans leur arriver au yoctomètre du début de leur cheville.


Très peu habitué au slasher japonais, pays béni des dieux pour son excellence cinématographique et, par la même occasion, sa vision toute personnelle et efficace de l'épouvante (honteusement copiée par Hollywood et ses remakes à jeter aux ordures), j'avais tout le mal du monde à réfréner mon extatisme. Le début est assez classique quoique efficace. Une présentatrice télé à succès reçoit une cassette contenant un snuff movie. Pour les hérétiques qui ne le savent pas, c'est une vidéo filmant un véritable meurtre à l'écran avec le plus souvent tortures et humiliations de mise. Longtemps considéré comme légende urbaine, nous savons maintenant que cette infamie existe, boostée par le dark web grâce à des sociopathes aspirant à une gloire transgressive l'espace d'un court instant.


Désireuse de faire la lumière sur toute cette histoire un peu trop crédible à son goût, elle se rend sur place avec des collègues pour chercher des informations sauf que rien ne se passera comme prévu et que le serial-killer les attend, tapi dans l'ombre, prompt à déverser sa sauvagerie sur ces femmes innocentes et le mec bonne poire de service qui s'est acoquiné avec l'une. Il n'est ni le meilleur ami gay, ni la victime de la friendzone ou le relou de service rampant comme un chien pour quémander une attention sexuelle de la gente féminine (en d'autres termes un chevalier blanc hypocrite).


Les codes inhérents au slasher sont finalement très limités. Ce qui explique que le schéma impersonnel est la mécanique de base du style. Un tueur, des innocents, du gore et des situations convenues. Pour autant, "Evil Dead Trap" nous prend très vite de court en ne cherchant pas à s'arc-bouter sur ces lignes directrices usées jusqu'au delà de la moelle. Toshiharu Ikeda a d'autres ambitions qui sont celles de s'éloigner du générique et, oh quel scandale, d'en faire un produit plus intelligent que la moyenne. Car non le psychopathe ne surgira pas systématiquement au mauvais endroit au mauvais moment. Non, quand quelque chose tombera ou s'écroulera, la protagoniste ne hurlera pas comme une hystérique. Et non, le casting n'est pas composé de modèles de beauté qui n'ont que ça à offrir à défaut d'un bon jeu. Pour le coup, ceux-ci existent véritablement et sont crédibles dans leurs réactions. Un fait suffisamment rare qu'il faut souligner.


"Evil Dead Trap" prend son temps pour élaborer une atmosphère des plus poisseuses où nos pauvres victimes sont cloisonnées dans des espaces clos. Ainsi, le film est menaçant. Une véritable sensation de danger se fait sentir, grandement aidée par des mouvements de caméra diablement efficaces. Tantôt épileptique dans l'esprit du cyberpunk japonais, tantôt en travelling rapide ou plus lent, chaque décision a été réfléchie méticuleusement. Ikeda nous offre une prouesse inouïe d'une authentique identité de mise en scène qui nous prend à la gorge continuellement au point de se sentir presque intimidé. Un modèle d'inventivité qui vaut à lui seul le visionnage mais pas que. Les influences du giallo sont plus que présentes et, tout spécialement, le travail esthétique de Dario Argento. Ainsi, les lumières bleu et orange sont omniprésentes. Ceci apportant un cachet visuel que peu de cinéastes du slasher ont pensé (pensent-ils seulement quand ils tournent ?).


Enfin, cette critique ne pourrait être valable sans aborder le sujet des meurtres. Considéré comme très éprouvant, "Evil Dead Trap" ne lésine pas dans la violence, nous gratifiant d'exécutions sauvages et sanglantes auxquels on y ajoutera une généreuse dose de viols, juste histoire de repousser encore plus loin les limites de la bienséance. D'ailleurs, parlons-en des limites qui voleront en éclat dans la toute dernière partie où le tout versera dans un délire fantastico-surréaliste dont seuls les japonais ont le secret. Je n'en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher la surprise mais sachez que "Psychose" et l'horreur organique Cronenbergienne vous sauteront aux yeux.


Vous l'avez compris, "Evil Dead Trap" n'a aucun mal à s'immiscer comme l'un des meilleurs slashers jamais sorti. Allant chercher ses inspirations là où la plupart des réalisateurs du genre n'y vont pas, Toshiharu Ikeda crée une oeuvre détonnante, marquante, acide envers la recherche du sensationnalisme médiatique et en rupture totale avec le cahier de charges habituel. Jetant tout son dévolu dans un travail d'ambiance aux petits oignons, de trouvailles visuelles et de nombreuses scènes et séquences fortes. On citera volontiers l'affrontement éclairé par les flashs d'un appareil photo ou le splendide travelling sur Nami agressée par les feux de détresse tirés par notre croquemitaine de service. Un grand méchant qui, pour le coup, a de la gueule tant dans son habillement que dans ses actes et préfère user de perversité psychologique plutôt que de tuer bêtement comme un demeuré.


Une sacrée surprise que ce "Evil Dead Trap" qui devrait être bien plus mis en valeur pour que les fanas de films sanguinolents puissent jeter un oeil dessus. 1h40 de plaisir malsain dont nous ne voyons pas le temps passer pour aboutir sur un final d'anthologie. Tout juste accusera-t-on une musique parfois un peu trop envahissante. Un 8 étoiles bien mérité.


MisterLynch
8
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Il faut reconnaître que ces films mettent mal à l'aise

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le 20 juil. 2022

Critique lue 79 fois

MisterLynch

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