Et Le Diable Rit Avec Moi
6.6
Et Le Diable Rit Avec Moi

Court-métrage de Rémy Barbe (2018)

Je trouve assez marrant de voir à quel point parfois dans la vie, les astres s’alignent et se retrouvent, quelque temps après, en une seule et même problématique. Finissant ma soirée sur un dessin en écoutant mon podcast mensuel « Sale temps pour un film », (que je recommande), l’un des chroniqueurs, à propos d’un film à peine notoire, aborde la question du film et son rapport avec la psychologie de cinéphile. De manière élégante, il expliquait que le cinéphile passionné dans son genre et l’art Cinématographique a une tendance morbide à fuir le réel qui l’entoure en se plongeant dans des œuvres fictives. Gloutonnerie visuelle ou thérapie d’évasion, c’est de la même manière que notre protagoniste Samuel dans « Et le Diable Rit avec Moi » (DRM) se pique. Fuyant son passé, son présent ainsi que ses angoisses sur l’avenir, il se plonge dans le cinéma d’horreur.

Allant à l’encontre même de son statut de marginal dans sa ville, il vit dans ses soirées solitaires les pires atrocitées dans snuff movie, torture porn voir body horror afin de vivre le parfait opposé de ce qu’il est. Thérapie de choc, projection dans ce qu’il n’est pas et ne sera jamais, il ressasse quoi qu’il en soit un vécu indigérable, invivable qu’il l’amène à vouer une haine sans faille pour autrui.

Doutant pourtant de ses propres capacités, Samuel nous joue ces passages de vie complexes que l’on traverse tous un jour. Allant jusqu’au bout du dicton « l’enfer c’est les autres », il nous projette d’abord ce qu’il ne peut supporter en chacun. Il nous montre aussi le ressenti de ce que nos fragilités provoquent à chaque micro agressions extérieure. La vision de l’être cher perdu, de l’acquis perdu ainsi que les réminiscences des moments désirables prennent par ailleurs une place de premier ordre dans le court-métrage. On regrettera à ce sujet de voir ces problématiques élaborées sur le ton de la violence et du sexe en abondance. Parallélisme aux genres de lobby décalés de Samuel, manque d'inspiration ou "sacro-sainte libido quand tu nous tiens", toujours est il que 3 éléments provoquent le désordre dans le bon déroulé du propos :

- Une répétitivité dans la manière de présenter l’extériorisation de ce que ressent Sam

- La saturation d’hémoglobine pour chaque émotion forte

- La volonté de choquer par les énièmes scènes de levrettes pour tout et pour rien (lapsus visuel révélateur coquin de Rémy).

Cette présentation des faits rend le film plus amateur qu’il ne l’est dans sa composition, donne l’impression de ne pas avoir réfléchi le sujet de la séparation au-delà du pieu, et donne surtout naissance à un Samuel sans fragilités. Quant à l’aspect diabolique du protagoniste dans l’ombre dont on n’identifie pas vraiment la nature (Autre personnalité ? Un souvenir d’un proche ? Sa propre identité rêvée ? Le Vrai Diable ?! Tout en même temps ? ), on ne parvient pas, je trouve, à capter ce à quoi il fait écho. Cette situation rend le personnage détestable, d'autant plus qu'il ne s'exprime que par de l'ASMR virile entrant de force dans les tympans... Je pense comprendre qu'il représente les pensées les plus viscérales d’un Incel à en devenir, en manque de repères et d’affection, se retrouvant tantôt trahit (la fille de la soirée, le vendeur de cassette), tantôt la curiosité de foire (les acheteurs de la boutique, son positionnement musical, sa tenue), et tantôt surtout le solitaire qui ne voit pas d’autres échappatoires que d’avancer seul ad vitam æternam. Si ma vision des choses peut être mise en cause ici, je pense qu’il y a cependant les éléments précédemment listés qui peuvent expliquer mon vécu et celui des notes (un poil trop basse je trouve). Dans la tête de notre petit Samuel, on n’a pas l’impression de vivre le pétage de câble d’un oublié misérable que tout le monde adore ignorer. On n’a pas l’impression dans ce microcosme de voir en action les plans d’un homme au bord du gouffre, sans solution ni but ni porte de sortie à cette situation. On a ici l’impression surtout de traverser la crise d’adolescence de Samsam, lycéen en colère, mal dans sa peau et sans orientations…. Où est la solitude dans ce film ? Il est au final en permanence avec cet être de l’ombre. Où sont les angoisses de l’incertain ? Dans des hectolitres de sang ? Et quand est il de sa vie extérieure ? C’est certes un court-métrage, mais atteindre un tel stade sans autre background que « Eva est parti bouuuuuuu », c’est ledge quoi. Et les rapports de forces par ailleurs entre Sam et Eva sont super flou. C’est certainement une volonté du créateur de mettre le brouillard sur la fin de la relation et son contexte réel, mais dans les faits, on a surtout une absence totale de contexte pour se positionner.

Crise de la trentaine, hallucinations provoquées par le sucre du pop-corn, ou trouble de la temporalité lié à la dépressivité, c’est autant de facteurs qui restent inconnus dans ce petit court métrage pourtant bien plaisant tant pour les yeux que pour nos mémoires. Tout petit cinéphile que je suis est satisfait d’avoir fait du lien entre réel et fictif dans la tête d’un personnage originellement fictif. Je me plais à me dire que c’est pourtant bien Samuel que je vais retrouver chaque soir devant l’écran plat ou la toile blanche pour de nouveau m’évader d’une réalité. Bien qu’elle ne soit pas négative, il est bon de changer d’air et j’y suis arrivé grâce à Shadowz et à ces propositions en cette fin d’année !

21rems10
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le 23 déc. 2023

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