J'aime bien découvrir un film sans savoir aucune information, sans en lire le synopsis, ni la fiche technique, sans avoir même regardé le nom du réalisateur. Cela oblige à une immersion immédiate et totale : dès que l'écran s’anime, on cherche, on investigue chaque détail pour en tirer son parti. Un lion, une statue et déjà, on se sent cinéphile, habitué des lieux. A peine est-ce commencé, il nous faut confirmer nos premières impressions, les décors, les acteurs, le ton, tout nous parait alors familier et fortifie nos sens : ici on reconnait machin, mais si ! Il jouait dans le film de l'autre là. Et cette ambiance, on jurerait du untel... Je reconnais là, c'est un coin d'ici, mais si, mais si...

C'est ainsi que j'ai lancé Zendegi Va Digar Hich, obscur fichier poussiéreux, perdu dans l'immensité mémorielle de mon computer... Et là, manque de bol, le générique se lit de droite à gauche dans une langue qui m'est complétement barbare, après les premières minutes qui ne dévoilent que les intérieurs respectifs d'une cabine de péage et d'un R5 sur le retour. J'entame donc pour la première fois un long métrage d'Abbas Kiarostami, intimement persuadé que je suis aux prises avec un obscur polar libanais. Chaque plan est d'une tension certaine, je suis certain que l'enfant va disparaitre, ou sera-ce le père ? Je me trompais-je.

Rien ne se passe, ou pas grand chose, mais en Iran en tout cas. Je ne déchante pas, des disparus, il y en a, mais la pellicule prend des allures de documentaire, mais des allures seulement, les vues sont saisissantes, introspectives et circonscrites. Des regards. Nous sommes bien spectateurs, d'un spectacle en images en mots et en voiture, qui déroule dans le temps un perpétuel mouvement, une perpétuelle avancée dans un lieu et un moment où les chemins de vie ne sont plus carrossables, ouverts d'ornières et de failles. Un mouvement, une transition, entre le passé cahoteux et le futur incertain. Les enfants, les vieillards, les gens, se meuvent tant bien que mal vers une nouvelle vie, puisque c'est elle qui reste.

Les images sont réelles, mais ne dépassent pas la fiction, traduisant la perception du réel. Très simple, concise, la fiction se développe selon un schéma narratif précis qui contraste avec la toile de fond du film. Idem pour les péripéties, imperceptibles, signe que la vie reprend son cours. Les couleurs, les paysages, le mutisme et les dialogues sont intenses, mais impitoyables, sans naïveté aucune, soutenus par une bande son pénétrante, majoritairement intradiégétique, explosant soudainement aux chants des cors, utilisés en Iran lors des cérémonies de deuils.

Un film ambigu, grave, non pourtant dénué d'humour. Un film éloquent et contemplatif, emprunt d'un souffle, celui qui sépare la vie de la mort.

vvivien
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le 1 déc. 2022

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vvivien

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