Quelle brillante idée André Bonzel a eu avec ce film. Mais aussi casse-gueule, car tenter de rendre une histoire personnelle universelle et touchante est toujours très délicat, et ça peut vite tomber dans le pataud et le nombrilisme morbide et inintéressant comme Le Tourbillon de la vie. Mais avec ses centaines de bobines retrouvées, le réalisateur livre un portrait d'une profonde mélancolie, en nous montrant pendant 1h30 des époques, des regards d'inconnus d'un autre temps, des bouts de vie, tout cela sous le contraste du bonheur filmé et du malheur caché, avec sa voix off d'une grande tendresse qui conte les étapes de sa vie.


Ce sublime grain derrière les caméras 16mm, portés par des cinéastes anonymes nous montrant des visages inconnus, est une magnifique idée de mise en scène. Car au delà de la vie que nous raconte Bonzel, le fait d'ancrer son conte dans des visages d'une autre époque rend le tout très universel. Car cela permet au spectateur de se raconter lui-même une histoire en découvrant tous ses visages et ses époques sublimées par la caméra qui parvient à donner cette impression d'arrêter le temps. Le réalisateur n'hésite cependant pas à nous montrer de vrais pellicules le filmant lui jeune, ou sa mère, ou son père, même ses amis Rémy et Benoît avec qui il a réalisé C'est arrivé près de chez vous. Mais tout le reste est ambigu : on ne sait jamais vraiment si les personnes qu'on nous montre sont réellement celles dont il parle. Et j'adore cette ambiguïté car elle crée l'universalité des émotions qui traversent les époques. Sa voix off pouvait d'ailleurs être embêtante puisqu'elle est presque omniprésente. On aurait tendance à penser que la beauté de l'image montrée qui transmet un réel daté vaut 1 000 mots et qu'il n'est peut être pas nécessaire d'en dire autant. Mais comme le réalisateur joue avec les bobines pour mettre en scène son histoire personnelle, elle ajoute une ambiance parfois drôle, parfois gênante, parfois tragique dans ces bouts de vie. Et surtout, elle permet à Bonzel de se livrer très personnellement, sur ses pensées, son obsession pour le sexe, ses soucis familiaux. Des problèmes qu'il arrive à retranscrire dans les images, ce qui offre un panel d'émotions pour le spectateur qui ressent l'histoire comme si ça pouvait être la sienne. Et cela nous permet de donner plein de sens différentes aux images qu'on nous montre.


Que dire d'ailleurs de ces images qui reflètent tant d'époques. Ne serait-ce que par le style vestimentaire, l'arrivée de la couleur, le sens de la liberté, la classe ouvrière et les chefs d'entreprise dans l'industrie, les relations amoureuses. On peut facilement estimer que toutes ces bobines retracent des époques allant de la fin du XIXe siècle aux années 90. Et c'est juste splendide de voir à travers ces moments de réel ce que la caméra, peu importe l'époque, arrive à retranscrire dans les visages. On ne sent jamais que cela est daté, tant les amusements, l'amour, l'amitié, semblent être des concepts qui n'ont jamais réellement vieillis et ont toujours été très universels. Les sourires, les danses, les moments durs aussi comme cette mise à mort du cochon, la chasse, le rire qui peut cacher une profonde tristesse.


Et ça, c'est la magie du cinéma. Et j'aime à la fureur est avant tout une magnifique déclaration d'amour au cinématographe, cet objet pas si vieux qui est parvenu à faire bouger les images et à présenter des univers et des endroits que personne ne pouvait aller voir de ses propres yeux. Et surtout, d'immortaliser des moments d'authenticité. C'est juste magnifique. Et le contraste avec le bonheur filmé quasiment en permanence, et la mélancolie de son conteur qui se souvient de moments difficiles, nous montre que peu importe le malheur dans la vie, chaque amateur cinéaste prend sa caméra pour filmer des moments qui le rend heureux. Et la façon dont Bonzel nous montre ça au travers de tous ces inconnus, c'est d'une beauté cinématographique incroyable. Cette fin gratuite qu'il nous offre sans sa voix, laissant passer des moments de joie sous la splendide musique de Biolay, procure une émotion esthétique qui traverse toutes les émotions au vu des âges qui s'amusent devant la pellicule : que ça soit des enfants des années 50, un couple des années 30, une femme qui danse dans les années 60, et la femme de sa vie, dans les années 80.


Bref, vous cherchez un film qui déclare sa flamme au cinéma, celui-ci est sûrement le plus beau de cette année.

Guimzee
9
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le 26 déc. 2022

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Guimzee

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