Le réalisateur, Jean-Charles Tacchella, est surtout connu pour Cousin, Cousine (1975), son deuxième film qui fut un succès en son temps et fit sa notoriété avec pas moins de trois nominations aux Oscars. Réalisé une dizaine d’années plus tard, Escalier C (1985 – 1h37) donne l’impression d’être l’adaptation d’une pièce de théâtre car il se passe essentiellement dans quelques intérieurs. A vrai dire non, puisqu’il s’agit de l’adaptation du roman éponyme d’Elvire Murail, prix du premier roman en 1983. Un film un peu hors du temps et sans doute assez typique d’un certain idéalisme propre au réalisateur (né en 1925).


L’escalier en question se situe dans un immeuble parisien (intra-muros) qui n’a rien à voir avec le grand ensemble qu’on pourrait imaginer. Il s’agit d’un petit bâtiment de quelques étages, avec une sorte de fausse cour intérieure visible dès le générique de début (qui montre essentiellement des toitures typiques en zinc). Les teintes grisâtres donnent le ton, car l’escalier ne présente aucune ouverture sur l’extérieur et si les boîtes aux lettres sont peu nombreuses, leur aspect vieillot donne une bonne idée de l’état général.


Le personnage principal est Forster Lafont un grand brun cynique (sa réputation : révolté mondain, pique-assiettes du paradoxe, baiseur, hypocrite et vaniteux) auquel Robin Renucci prête son physique. Il travaille comme critique pour un magazine d’art. Sa spécialité : la peinture. Devant rédiger un article sur Auguste Renoir, qu’il n’aime pas (contrairement à Jérôme Bosch), il a besoin de calme, ce pourquoi il renvoie la jeune femme avec qui il vient de passer la nuit. Attitude typique de Forster : des femmes, il en séduit régulièrement, malgré son cynisme et malgré sa façon de les jeter comme il les trouve. Dans l’escalier, vit également Bruno le solitaire éternellement fauché et à la recherche d’un emploi (Jean-Pierre Bacri, ce qui me permet un petit hommage au passage, en soulignant qu’on le voit ici dans un rôle qui date d’avant sa notoriété, régulièrement en short et un peu désabusé mais pas cynique lui. J’en profite pour approuver Cédric Klapish déplorant la manière simpliste de le présenter comme le râleur préféré des français, alors que Bacri réagissait à sa manière aux comportements absurdes, ce pour quoi certaines de ses compositions resteront dans les mémoires). Dans l’escalier, Béatrice (Catherine Frot) et Virgil (Gilles Gaston-Dreyfus) vivent une passion houleuse, chacun habitant dans son appartement. Quant à Claude (Jacques Bonnaffé), sa tendance suicidaire fournit quelques astucieux prétextes scénaristiques. Arrive également Charlotte (Florence Giorgetti) dont la petite Anita fait aussitôt une fixation sur Forster qu’elle réclame comme papa. Citons Fiona Gélin, Claude Rich et Michel Aumont dans des seconds rôles et n’oublions pas la solitaire madame Bernhardt (Mony-Rey) qui survit suite à plusieurs drames familiaux.


La vie de Forster se partage entre son appartement, ses travaux de rédaction et les visites aux galeries où exposent les artistes dont il envisage de parler. Sa réputation le précède auprès de Florence Martin (Catherine Leprince), nouvelle attachée de presse de la galerie Messager. Après un tête-à-tête électrique lors d’un vernissage, ils vont se rapprocher avec leur intérêt commun pour le peintre Conrad (Jacques Weber). On tient là le meilleur du film avec une approche amusante de l’art contemporain, entre critiques, artistes, galeristes et amateurs prêts à s’enflammer pour un oui ou un non (quitte à se ridiculiser en affirmant n’importe quoi). Autant dire que les toiles attribuées à Conrad, je n’en voudrais pas dans mon salon. Alors, voir Forster s’emballer pour ces œuvres donne à réfléchir. Du côté de Florence Martin, on sent bien qu’elle y voit avant tout une bonne affaire à réaliser. Le génie artistique dans tout ça ? Chacun(e) en jugera.


Si l’art dépend des finances (une famille aisée, ça peut aider), Tacchella montre que les relations humaines comptent davantage à ses yeux, car il laisse entendre que dans ce milieu, tout le monde joue un rôle. Ce qui se passe escalier C, où plusieurs drames se nouent, sert de révélateur. Les circonstances amènent Forster à baisser un peu la garde en privé, lors des petites réunions des habitants de l’escalier. Et, même si on ne l’imagine pas changer fondamentalement, la confrontation avec les autres l’amène à évoluer, jusqu’à se montrer plus humain que ce qu’il laisse paraître habituellement.


Bien évidemment, l’ensemble n’atteint pas des sommets inoubliables. Jean-Charles Tacchella ne se montre pas un réalisateur de haut vol et le scénario est un peu convenu. On remarque cependant que la musique joue un rôle important, puisqu’elle est omniprésente dans l’escalier (quelques airs connus, notamment de classique) et que les numéros d’acteurs réservent quelques bons mots. On retiendra la phrase du peintre Conrad qui dit « On n’a jamais rien fait mieux que la vie » en évoquant ses impressions devant La petite fille à l’arrosoir de… Renoir. Une petite phrase dite très naturellement qui en dit long sur ce qui compte aux yeux du réalisateur. Prononcée dans un cadre plutôt intimiste où l’hypocrisie n’a pas sa place, voilà qui fait son effet, même pour un Forster !

Electron
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le 10 févr. 2021

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