Epouses et concubines est un film à la symbolique forte, bi-chromé et s'appréhende comme une pièce de théâtre au dénouement que l'on présuppose hautement dramatique par avance. Le film raconte l'histoire d'une femme, ou devrions-nous dire de ce qui était considéré à l'époque en Chine et encore aujourd'hui dans certaines provinces reculées comme une moins que rien, Songlian, qui se destine à devenir la quatrième épouse d'un homme pour croit-elle rendre la vie à son égard un peu plus clémente.


Quatre saisons, de l'automne à l'hiver, quatre actes rythmés par les lanternes vermillon qui s'allument quand le maître de maison choisit l'une de ses quatre épouses pour se détendre (et se vider). Chaque femme, chaque "épouse" n'est ici que pour corriger l'anomalie génétique qui a fait en sorte qu'elles naissent fille et non garçon, en tentant à leur tour d'engendrer un bon élément humain. Le reste, comme le dit la seconde épouse à Songlian devant sa petite fille dont elle n'est pas fière de son existence "ne sert à rien". Sera adulée la concubine qui aura donné une descendance mâle, délaissée celle qui n'aura su que donner une fille. Voici les règles de la Chine d'alors, répercutées dans la maisonnée parmi une ribambelle de traditions familiales à la fois fascinantes et humiliantes pour les épouses, qui doivent se réunir dans la cour lorsque l'une d'entre elles est sur le point d'être choisie pour la prochaine nuitée.


Les couleurs, les lumières parlent, pendant tout le film. Mis à part les lanternes allumées, rien n'est chatoyant, tout n'est que gris pâle sur des briques très serrées, gris anthracite, gris tout court. La joie n'existe pas dans la maisonnée. Le rouge est extrêmement trompeur, fourbe. Il est présent dans l'appartement de la concubine choisie, comme s'il donnait la vie, suscitait les passions pour ensuite se retirer et partir ailleurs. Gare à qui trompera le maître et verra les lanternes s'allumer suite à des mensonges, elles seront automatiquement plongées dans le noir pour ce qui semblera être une éternité.


Le Maître, cet homme tellement puissant en sa demeure que le réalisateur a fait l'excellent choix de ne jamais montrer son visage. On l'aperçoit de loin, on devine à la dérobée les contours d'une moustache notamment, mais rien n'est plus prégnant ni limpide dans le film que le son de sa voix qui tranche. Il est là sans être vu, comme une sorte de dieu dans un environnement hostile et froid. Un dieu magnanime, capricieux et sans gêne, qui n'hésite pas à peloter la servante de Songlian sur sa couche. Si une femme ne valait rien en Chine, une femme servante ne pouvait même pas prétendre avoir de la valeur. Seuls les hommes en possèdent.


Mis à part le décideur, personne ne peut véritablement être gagnant ici, personne parmi les protagonistes féminins. Qu'elles fautent, et c'est la mort assurée d'une façon ou d'une autre. Qu'elles réussissent, et elles sont condamnées à des sourires fatiguées, faire des massages quand elles seront vieilles parce que le maître ne voudra même plus les toucher, à vivre dans l'ombre d'un petit garçon qui deviendra un jour un jeune homme bien éduqué. Qu'elles refusent l'un ou l'autre, la réalité de leur état et ce sera un aller simple vers la folie. A tous les coups, les épouses et les concubines sont perdantes.

-Ether
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le 10 avr. 2015

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-Ether

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