Cherchant le parallèle avec son personnage principal, Thierry de Perreti se place tout comme lui au-dessus de ; l’Enquête sur un scandale d’Etat ; retrace sur plusieurs mois l’investigation de Stéphane, journaliste (Pio Marmaï), mais surtout sa relation avec un de ses indics, Hubert, souhaitant « faire sauter la république » (Roschdy Zem) en dévoilant au grand jour un trafic de drogue orchestré par Jacques, le chef des Stups (Vincent Lindon). On se rend cependant compte que ce n’est pas tant la résolution de cette enquête qui l’intéresse, que la façon dont elle s’incarne dans le corps de ses protagonistes.


Pio Marmaï au centre du cadre. Enchaînement de plans fixes dans une boîte de nuit. Fenêtre sur une vie parisienne. On coupe à chaque fois juste un peu trop tard, la séquence est juste un peu trop longue. Le message passe, De Perreti va prendre le temps. L’opération principale au cœur de l’esthétique du film est de créer de l’espace. Après un différent avec Jacques à propos d’argent, Hubert décide de prendre contact avec Stéphane pour lui raconter ce qu’il sait sur un trafic de drogue orchestré par un des hauts gradés de l'État français. Démarre alors le Scandale. Une enquête de ce calibre ça prend du temps, de la place, ça habite le quotidien. De Perreti installe petit à petit son rythme par des scènes qui tirent leurs situations en longueur. Il laisse respirer les dialogues, les déplacements, les gestes. Il permet au discours, parfois complexe, de se créer. Ce choix de montage épouse la mise en scène pour mieux la sublimer. Les plans longs, parfois séquences, sont souvent fixes ou avec des mouvements d’appareil discrets, majoritairement des lents travelings et des panoramiques, parfois combinés. Le film serpente, observe, jauge, colle au journaliste qui sans cesse doit mettre à jour son regard au fur et à mesure de la multiplication des points de vue. Cette discrétion et cette minutie, quasiment fincherienne, avec laquelle sont effectués les mouvements, de caméra ou des corps, leur donne du poids. Tout est subtil, presque délicat, mais tout est signifiant. De Perreti a bien appris la leçon, un traveling se doit d’être politique.


La radicalité du verbe

Cette radicalité de la mise en scène n’est que le reflet de celle du scénario. Là où on pourrait s’attendre à un film choral massif et lourd, rempli de tensions et d’intimidations, comme nous l’ont habitué les thrillers politiques de ces dernières années. Peretti préfère rester avec Pio Marmaï et Roschdy Zem. Il se concentre sur leurs discussions, leurs points de vue, leurs désaccords. Jacques le chef des Stups, se cantonne à la périphérie du récit. Il n’est qu’une ombre qui plane à distance, parcourant la ville comme un vigilante sans jamais pouvoir atteindre les personnages principaux. Il ne sert qu’à ouvrir et fermer le film, détermine un périmètre, permettant l’inscription de ce qui nous intéresse vraiment, la relation entre journaliste et indic.


Dans son obsession assumée pour le langage, le film ne montre quasiment aucune matérialité de l’affaire. A l'exception d'un flashback, filmés du point de vue de Roschdy Zem, nous n’avons accès qu’à son discours. Il est l’affaire, l’incarne par son corps et ses paroles. Ce scandale n’est à l’écran que des mots, dits, lus ou couchés sur du papier. De Perreti, dans son scénario tout comme sa mise en scène, nous place du côté du journaliste. Dans une volonté de croire à ce que l’on nous raconte, on doute constamment, tellement l’affaire est grosse, ne sachant jamais vraiment quel crédit donner à la parole d’un ancien criminel. Il avance des preuves, des arguments, mais quelque chose ne colle pas ; pas tout à fait. Ses intérêts ne sont pas clairs. De Perreti dissémine juste assez d’indices pour nous faire douter. Des scènes hors du temps, à la limite de l’onirisme dans lesquelles Roschdy Zem apparaît en maître manipulateur. Mais rien n’est assez tangible pour complètement renverser la vapeur. D’où l’importance de cette scène de fin au tribunal dans laquelle on donne enfin la parole à Vincent Lindon. Tout à coup une autre incarnation de l’affaire entre en jeu et vient remettre en question toute la véracité de ce à quoi on vient d’assister.


Le rapport à la violence du film est un autre exemple de ce régime volontaire de la matière. Sous l’impulsion de Hubert de nombreux personnages interviennent au fur et à mesure de l’enquête pour témoigner de la véracité de l’affaire. Iels nous parlent des risques qu’iels prennent, de la peur des représailles, mais cette violence ne s’incarnera jamais autrement que dans leurs voix. De Perreti ne nous montrent jamais d’agression ou d’intimidation. Tout passe par l’invisible, l’enquête traverse les corps et les scènes sans jamais prendre forme. Seul Roshdy Zem se fera, à deux reprises, par l’expression de sa colère, le point de passage de la violence, d’état ou criminelle. Cette radicalité de contenu n’est possible que grâce à la confiance qu’a de Perreti dans ses acteurs. Le rythme et la mise en scène, en plan large et fixe, leur laissent la place de s’exprimer de tout leur long. Rien n’est surdécoupé, tout respire. Il fait cependant le choix de restreindre par le cadre l’espace physique donné aux acteurs. En utilisant le format 1:38 il enferme et bouche l’horizon, concentre l’action. Il guide notre regard et élimine le superflu, rendant son film à la fois plus dense et accessible.


Enquête sur un scandale d’état est parfois long dans ses 123 minutes mais Enquête sur un Scandal d’état est surtout un film passionnant. Radical dans son esthétique et son scénario, il explore par un angle encore trop peu traité le thriller politique. C’est un film salutaire dans un paysage cinématographique aujourd’hui gangrené par la vitesse. Il nous laisse le temps de voir, de comprendre, de nous poser des questions et de le remettre en question. C’est un film politique tout en discrétion et subtilité qui peut parfois rappeler Costa Gavras, mais qui à l’inverse de son aîné n’oublie jamais que la forme est au service du fond.

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le 29 mars 2023

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