Il est des expériences, et des personnages, dont on ne lâche pas facilement la main. Dix ans après « Nous, Princesses de Clèves » (2011), Régis Sauder a eu envie de retrouver les « princesses » et les « princes » qu’il avait découverts dans la classe de leur professeure de Littérature, lors d’un travail de longue haleine sur le texte le plus célèbre de Madame de La Fayette (18 mars 1634 - 26 mai 1693).


On ne les retrouve pas tous, certains liens s’étant dénoués, certains contacts s’étant perdus. Mais, de la petite vingtaine d’élèves présents dans l’atelier qui avait couru sur les années de Première et de Terminale, au Lycée Diderot, dans les quartiers Nord de Marseille, une dizaine a consenti à participer à cette expérience en ricochet. Toujours réalisateur, scénariste et directeur de la photographie, Régis Sauder est maintenant secondé à l’image par Aurélien Py, et au montage par Agnès Bruckert. Très subtilement, il tisse des liens entre ses deux documentaires, celui qui est en train de s’élaborer et celui qui fut réalisé dix années auparavant, autour de ces mêmes personnages, autrefois lycéens, à présent devenus adultes. En amorce ou au cours des retrouvailles avec l’une ou l’un, un extrait du précédent film se trouve souvent inséré, afin de permettre au nouage de s’effectuer. Le jeu de dialogue est constant, y compris lorsque sont montrées les réactions des nouveaux élèves du Lycée Diderot à la projection du documentaire de 2011, puis lors de leur rencontre avec certains des anciens venus leur rendre visite, dans le lycée qui fut jadis aussi le leur.


Comme dans « Nous, Princesses de Clèves », les protagonistes, maintenant mûris, sont filmés dans leurs différents lieux de vie, qu’il s’agisse d’espaces extérieurs, de leur voiture ou de leur propre appartement. Une figure a cependant disparu presque systématiquement, parfois pas seulement du film mais aussi de l’existence, comme pour la mère des jumelles : les parents. Maintenant, les élèves d’autrefois sont eux-mêmes souvent devenus parents, d’enfants encore très jeunes ; les femmes, surtout, et plusieurs ont dû quitter un conjoint qui s’était avéré violent… Beaucoup exercent un métier qui leur convient, dont ils sont fiers, et dans l’exercice duquel il arrive même parfois que la caméra les accompagne. D’autres sont toujours en recherche, parfois non sans angoisse ni douleur… Ils peuvent même avoir « connu la faim »… Certains sont restés à Marseille, d’autres se sont éloignés, beaucoup, parfois. Mais ils reviennent ; ou reviendront.


Émerge de ces portraits croisés un tableau très nostalgique, vibrant d’émotions, entre attendrissement à l’évocation du passé et attente de tout ce qui peut encore surgir. Tous, dans leur diversité et leur inaliénable singularité, permettent de briser les stéréotypes qui risquent de se lever en chacun à l’évocation des quartiers Nord de Marseille… Et plus que jamais après le très visionné « BAC Nord » (2021) !…


On peut admettre que chacun des deux volets composant ce qui est à présent devenu un diptyque n’acquiert sa pleine saveur, ne libère toute sa potentialité aussi bien émotionnelle que réflexive, que lorsque le spectateur connaît également l’autre panneau. Indéniablement, la découverte de « En Nous » éveille le désir de se tourner vers l’amont, et la vision en second de l’œuvre réalisée en premier se leste de tout l’effet de la préscience. Mais on sait aussi que tous les admirateurs des jeunes gens porteurs de tant de possibles en 2011 connaîtront un plaisir presque familial, avec toute la tendresse et l’admiration que celui-ci peut comporter, à les redécouvrir en 2022…

AnneSchneider
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le 18 mars 2022

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Anne Schneider

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