J’adore tomber sur un film qui ne paie pas de mine mais qui est une excellente surprise. C’est ce qui me conforte dans l’idée que c’est en fouillant « à côté », que c’est en étant plus curieux que la moyenne, que c’est en ne se contentant pas de regarder les grosses machines qu’on nous propose qu’on trouve encore des petites pépites qui valent le coup d’œil. Parce qu’Emily The Criminal, sorti en toute discrétion en VOD, c’est un petit film au budget inférieur à 3M$, réalisé par un illustre inconnu dont c’est le premier film, avec au casting une actrice principale talentueuse qui navigue en marge d’Hollywood, qui nous raconte une histoire simple, sans fioriture, prenante et qui sait où elle va, le tout en 1h37. Le cinéma n’a jamais fini de me surprendre, ma propension à continuer de fouiner encore et toujours non plus, et après l’excellent Dinner in America, je vais donc vous parler de Emily The Criminal. Le cinéma indépendant US regorge décidément de plein de belles choses.


Bien qu’elle ait déjà un casier judiciaire, Emily n’est pas une criminelle. Pas encore en tout cas. Mais cela va inévitablement changer (oui, ce titre n’est pas là par hasard). La jeune femme est coincée dans des difficultés financières dont elle ne pourra sans doute jamais sortir avec ses 70000$ de dette à cause de prêts étudiants, et son casier judiciaire non vierge, à cause d’une condamnation pour agression par le passé, transforme ses entretiens d’embauche en moments d’humiliation. Lorsqu’elle accepte un peu d’argent facile en mettant un pied dans l’arnaque à la carte bancaire, elle met un doigt dans l’engrenage. Elle enfreint sans cesse la loi, ne montre que très peu de remords pour les victimes de ses actes et aggrave constamment la situation en laissant le désespoir prendre le dessus. Elle se retrouve rapidement dans un enchainement inéluctable de crimes et d’arnaques. Elle est constamment dans l’erreur, mais pourtant on se surprend à l’encourager car le réalisateur nous montre clairement qu’Emily est elle aussi une victime du système. Dans sa situation, elle n’a guère d’autre choix si elle veut améliorer son train de vie. Mais à aucun moment, John Patton Ford ne tente d’excuser les actions illégales de son personnage, il présente la situation comme une sorte de tragédie qui découle du système de classes de la société ultra capitaliste américaine, où les plus pauvres tentent simplement de survivre par les quelques moyens qu’ils ont (parfois illégaux donc). C’est ça Emily The Criminal, un portrait de femme qui décide de reprendre le contrôle de sa vie comme elle peut, comme tout un pan de la population américaine. Sauf que là où beaucoup auraient suivi le schéma classique du personnage mis à l’épreuve et qui se serait petit à petit transformé en héros, Emily devient ici une criminelle moralement compromise qu’on va pourtant continuer à encourager car, oui, dans la détresse, dans la colère, on aurait possiblement fait les mêmes choix qu’elle.


Aubrey Plaza livre une performance absolument géniale. Souvent habituée aux rôles comiques pince-sans-rire (Scott Pilgrim, Safety Not Guaranteed), c’est ici un nouveau terrain de jeu pour elle. Elle est convaincante et vulnérable sans jamais être trop sympathique afin que le spectateur garde malgré tout une distance nécessaire face à cette histoire moralement ambigüe. Theo Rossi (Sons of Anarchy), qui initie Emily à ces activités criminelles, s’en sort également très bien et la relation qui se crée entre les deux personnages est intéressante, bien qu’au final anecdotique au vu du scénario. John Patton Ford va mettre ses personnages dans des situations très intenses (“l’achat” de la voiture), il fait habilement monter la tension à des moments clés, et on a parfois l’impression que le film bouillonne de rage. Ford arrive à rallier le public à la cause d’un voleur sans scrupule et c’est un exercice souvent assez casse-gueule. Pour l’aider dans cette entreprise, il va souvent utiliser la caméra à l’épaule et des éclairages très naturels afin d’être au plus près de ses personnages et de faire en sorte que tout cela fasse vrai. Certes, à trop vouloir se concentrer sur son personnage principal, il oublie de donner un minimum de consistance à ses intrigues secondaires et, par conséquence, sorti du duo principal, les autres acteurs du film passent clairement au second plan. N’oublions pas que c’est un premier film et c’est donc logique que certaines choses soient maladroites, mais cela ne vient en rien entacher le succès de ce petit film qui ne paie pas de mine mais qui s’avère très réussi.


Emily the Criminal est un portrait captivant d’une femme fonctionnant toujours en mode survie, qui nous tient en haleine à presque chaque instant. Un premier film parfois maladroit mais néanmoins très réussi et, du coup, un réalisateur à suivre.


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-emily-the-criminal-de-john-patton-ford-2022/

cherycok
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le 23 janv. 2023

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