"Elles" est un film que j'ai vu pour la première fois il y a cinq ans, auquel je n'avais pas vraiment accroché. J'avais trouvé le rythme du film décousu, difficile à suivre (entre la journée d'Anne, les flash-back de ses interviews avec les filles, et les bribes de leurs expériences à elles avec leurs clients, j'étais un peu perdue). Certaines scènes m'avaient gêné d'autres m'avaient excité, marqué ou choqué,


(notamment la scène du viol de Lola avec la bouteille de champagne que je n'oublierai jamais)


je me souviens d'avoir également ressenti de l'ennui et d'incompréhension. Pourtant, ce film est toujours resté dans un coin de ma tête, et je n'ai jamais vraiment réussi à l'oublier. Il venait se faufiler occasionnellement dans mes pensées, dans une discussion, dans un rêve..


J'ai revu "Jeune & jolie" de François Ozon récemment et le fait de voir un film sur la prostitution estudiantine m'a décidé à revoir "Elles" de Małgorzata Szumowska, pour rester dans le thème peut-être.
Je l'ai donc regardé hier soir, et j'ai été complètement transportée par ce film.


Voilà le cinéma que j'aime voir!
Pourquoi? Eh bien pour commencer, je vais parler du casting: impeccable. Juliette Binoche est d'une justesse incroyable à tout moment, authentique, subtile et magnifique. Son évolution au cours du film est quasi parfaite. Ce qui n'est pas surprenant venant d'elle, mais m'apporte toujours un plaisir énorme en tant que spectatrice. Les deux autres actrices Joanna Kulig et Anaïs Demoustier sont elles aussi formidables en tout point de vue, même si Anaïs semble moins à l'aise devant la caméra que Joanna (c'est peut-être un choix, mais ce n'est pas l'impression que j'ai eu). Quant aux hommes, c'est pareil, les acteurs sont justes et très bien choisis, les clients des filles sont très bons et jouent des hommes seuls, intenses, maladroits, violents, désespérés ou tendres sans tomber dans la caricature ou le sur-jeu. Et Louis-Do de Lencquesaing qui joue le mari d'Anne est très convainquant dans le rôle du parisien bobo businessman quarantenaire; un peu gauche, un peu sexiste, un peu énervant mais dans la globalité pas trop surprenant dans le genre "homme blanc privilégié".


Au niveau des personnages, bien sûr, j'ai eu un gros coup de cœur pour le personnage d'Alicja, cette jeune femme libérée, piquante, débrouillarde, incroyablement charismatique, qui n'a pas besoin de faire de courbettes à qui que ce soit pour s'en sortir, qui aime jouer, séduire, mais qui ne se laisse pas faire, et puis pour en rajouter une couche, ses répliques en polonais tombent toujours à pic et rendent le personnage encore plus attachant. Le personnage de Charlotte (Lola) est touchant mais un peu énervant: elle est innocente, perdue, se cherche, s'en veut, elle est lâche on comprend sa lâcheté car elle a peur donc on ne lui en veut pas trop, mais on a du mal à s'attacher à elle. Le personnage d'Anne est très bien écrit, on retrouve une femme assez prévisible dans son genre, rien de surprenant, rien de caricatural, très humaine et juste. On peut s'identifier à elle par moment et on aime la voir mal à l'aise, émue, la voir apprendre et s'éprendre d'Alicja et de Charlotte. Quant à son mari, il est aussi prévisible et désagréable qu'il faut, ni trop, ni trop peu. On voit un couple pas spécialement épanouit mais qui se complaît dans une vie confortable, pas trop désagréable. Tous les autres personnages hommes sont bons, on ne tombe jamais dans le cliché même si parfois on a un peu peur de ça, au final on retrouve chez tous la même authenticité. Il faut redire que les acteurs sont très bien choisis et dirigés.


La manière dont la caméra est maniée est très agréable, très intime, nous sommes plongés dans leurs conversations en "prise-direct", les plans sont parfois nets, parfois flous. On retrouve un côté documentaire/interview qui nous embarque dans des dialogues qui ne semblent même pas travaillés, simplement des bribes de discussion vraies, authentiques, qui nous font presque penser à de l'impro, mais qui semblent pourtant maniées à la perfection.
Quelques scènes sont en plan-séquence vraiment bien amenés et nous entraînent dans leur rythme (par exemple les plans d'Anne que l'on suit de longues minutes, en caméra à l'épaule, dans son immense appartement en train de se dépatouiller comme elle peut durant sa journée, devant le pc, au téléphone, en train de cuisiner, de faire des lessives, fumer une cigarette, sur le balcon, et puis dans la cuisine à nouveau).
On retrouve aussi quelques scènes musicales qui rajoutent un peu de peps, encore un coup de coeur pour la scène où Alicja chante avec son premier client qui l'accompagne à la guitare, et une autre scène merveilleuse où Anne et Alicja dansent et chantent sur "Pass this on" de The Knife.
On ressent bien la maîtrise de la réalisatrice qui avec la caméra, emmène notre regard exactement où elle veut.


Le rythme du film est vachement bien foutu, le début est lent, monotone, les répliques paraissent presque récitées (les dialogues mère/fils un peu clichés,) on a du mal à s'accrocher car on a peur de tomber dans les clichés d'une vie de famille classique et puis on monte en intensité, entraînés par les flashs-backs, par la douceur, l'humour, par la passion, par la violence atroce, par l'incompréhension, puis la remise en question, et le brusque retour à la réalité des filles et d'Anne.
Grosso-modo, niveau qualité, tout est là, que ce soit le casting, le jeu des actrices/acteurs, les mouvements de caméra, les plans, le rythme.


Ce qui m'a déplu dans cette histoire - une mère de famille journaliste quarantenaire qui se retrouve complètement bouleversée par ses rencontres avec deux jeunes prostituées qu'elle interroge pour un article - c'est la "morale" ou plutôt l'absence de morale.
Les rencontres d'Anne avec ces deux jeunes femmes la déstabilisent, lui permettent de se rendre compte de ses privilèges, de la chance qu'ont ses enfants de mener la vie qu'ils mènent, de l'absence de communication dans son couple concernant la sexualité et les désirs de son mari (ou les siens).
Jusque là tout va bien! Ce serait super si ça lui permettait de se motiver à sortir de son quotidien de "ménagère" soumise aux volontés de tout le monde (son rédacteur en chef, son mari, le patron de son mari, ses gosses, son père) de partir de prendre une cuite avec Alicja et commencer à vivre pour elle-même.


C'est d'ailleurs à ça qu'on s'attend lorsqu'elle quitte la table et claque la porte en plein milieu du dîner d'affaire de môsieur, qu'elle a passé toute la journée à préparer.


Mais que nenni! Si elle semble excitée par le mode de vie de ces deux jeunes prostituées, ce n'est pas parce qu'elle sont libres, s'assument et prennent le contrôle de leur vie sexuelle mais parce qu'elles donnent du plaisir aux hommes. Et ça, ça semble l'émoustiller Et au final, que se passe-t-il?


Après avoir claqué la porte, elle revient à la maison au milieu de la nuit, saoule, et saute dans les bras de son mari (qui s'était endormi sur la table en l'attendant) afin de lui prodiguer une fellation pour "sauver notre couple", se fait rejeter dans sa tentative désespérée par un mari qui ne reconnaît pas sa femme et le film se termine sur la scène du lendemain matin; petit-déjeuner en famille comme si de rien n'était....


...Alors là... va falloir m'expliquer parce c'est pas du tout, du tout, mais pas du tout, ce genre de "happy ending" que j'aurais voulu voir. C'est une grosse déception de voir que ces rencontres, ces discussions qui provoquent en Anne une remise en question de sa vie de couple, de sa sexualité, de son rôle de mère n'aboutissent finalement à rien. Comme si en bouclant l'article, elle oubliait tout ce que ces deux femmes lui ont apporté et retournait dans son quotidien, inconfortable mais vivable. On aurait aimé une fin ouverte, qui nous laisse l'espoir de voir cette femme envoyer balader tout le monde et s'émanciper d'un quotidien dans lequel elle ne semble pas s'épanouir.


Mais bon, il m'est impossible de dire que ce film est mauvais, même si j'ai été déçue par la fin, car le niveau film est relevé par d'autres éléments (cités plus haut) qui le rendent très agréable à regarder. C'est une claque, tant par sa beauté que par son horreur. Je ne comprends pas le choix de fin de la réalisatrice, mais peut-être que je le reverrai dans 5 ans et que je comprendrai, du moins je l’espère.


En tout cas, je le conseille vivement!

Lourag
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le 29 mars 2017

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Lourag

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