Un formidable éloge de l'amour dans un pamphlet anti-clérical

Derrière ce magnifique titre se cache également un très beau film, très politisé et en même temps tellement juvénile ! Car c'est un film très tendre d'un côté, mais très dur vis-à-vis de certains personnages ou de certains comportements. C'est aussi bien un réquisitoire religieux qu'un éloge de l'amour...


Si tout le discours politique est sensé, je dois avouer avoir trouvé le personnage du pasteur quelque peu caricatural, le film tombant parfois dans un certain manichéisme. Mais le dogmatisme, c'est aussi une manière d'affirmer sa pensée, d'affirmer un manifeste politique clairement anti-clérical, et ce en 1951. Car c'est un film osé, aussi bien dans la forme que dans le fond d'ailleurs. Ce film se rapproche quelque part de ce que fera Haneke un demi-siècle plus tard avec Le Ruban blanc je trouve, sauf que le film d'Haneke est plus subtil et plus violent, notamment dans la construction du personnage du pasteur. Cependant, il n'y a pas cette magie de l'amour, de la jeunesse qui est ici exposée par Mattsson.


Mattsson traite aussi de la médisance, et ne s'attaque pas qu'aux moeurs religieuses. Il s'attaque également à la bourgeoise, le milieu dont vient Goran, et nous montre tout le mépris que peut avoir la bourgeoisie à l'encontre des "petites gens", des ruraux.. on peut le voir du côté du père de Goran, mais également du côté des amis citadins de Goran, qui ne cessent de juger ce petit monde rural, et bien évidemment Kerstin, allant jusqu'à la traiter de pauvre paysanne puant le fumier. Ainsi, l’amour entre Goran et Kerstin est doublement impossible : Kerstin vit dans un monde où les moeurs pastorales commandent encore les actes, la ruralité ne s'étant pas encore totalement détachée, libérée même du dogme chrétien, et Goran vit dans un monde où les moeurs bourgeoises méprisent les classes inférieures, et notamment les classes rurales.


Mattsson nous montre aussi tout le refus du progrès qu'il peut y avoir dans ces petits villages isolés, où l'autorité est avant tout pastorale, plus que politique finalement, comme ce fut le cas en Europe pendant plus d'un millénaire ! Le clergé a toujours été au-dessus de tout... Il y a un enlisement dans des moeurs qui empêchent l’épanouissement d’une jeunesse qui elle, évolue, contrairement à ce petit microcosme chrétien. Ces moeurs pastorales empêchent la jeunesse de vivre… Kirstin le dit à un moment : "J’aimerai juste pouvoir vivre !" La jeunesse est bridée, et l’obéissance est telle que personne ne se révolte vraiment (du moins, la seule tentative est un échec sans nom…).


Et au milieu de tout cela, il y a cet amour de vacances, éphémère mais profond, un amour absolument magnifique entre deux personnages sublimes. Mattsson prend son temps quelque part pour créer cette histoire d'amour, qui n'est pas si spontanée, qui prend le temps de se construire, jusqu'à atteindre le nirvana. Les scènes de fin, où l'amour est consommé, sont magnifiques, sensuelles, osées, et d'un grand érotisme. D'ailleurs, le nom de famille du personnage principal est Stendal (sans le h). Y a-t-il un lien symbolique avec Stendhal, lui, qui est par excellence l'écrivain de l'amour-passion, lui qui ne supporte par le renoncement, notamment lorsqu'il a pour origine la religion, lui qui ne comprenait par comment la princesse de Clèves pouvait renoncer à son amour pour le duc de Nemours ? Stendhal est l'homme de l'exaltation amoureuse par excellence, et la symbolique serait tout-à-fait sensée dans le fond, car Goran est aussi un homme de l'exaltation amoureuse.


Les dix dernières minutes sont terribles, je ne sais pas encore comment les interpréter, je ne m'attendais pas à une fin pareille, elle est beaucoup plus fine que le début, car c'est une fin elle aussi symbolique (comme tout le film). Le discours de l'oncle est superbe, une véritable ode à l'amour.


Un vrai beau film, totalement engagé politiquement, prônant l'amour, et dont la tension est crescendo. On peut lui reprocher un manque de finesse parfois, au début notamment, mais plus le film avance, plus le film acquiert en subtilité.

Reymisteriod2
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le 8 déc. 2019

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