Il n'y a pas plus puissant réquisitoire que ce film contre le célibat des prêtres.


En effet, avec la rigueur implacable d'une démonstration mathématique, Pablo Larrain, le réalisateur chilien, expose ici les dégâts causés par les torsions que la religion impose à la nature humaine ; et cela, quelle que soit la place tenue dans ce sinistre club.


Place centrale, avec les coupables, les fauteurs de trouble, prêtres pédophiles réunis dans une maison au bord de la mer, au sud du Chili, sur une côte battue par un vent constant. Prêtres qui apparaissent aussitôt comme les plus humains de tous les personnages assemblés ici. "Humains, trop humains", et à ce titre punis, exilés dans cette pénitence où le vent semble leur glisser inlassablement à l'oreille le rappel de leur faute.


Place victimaire, avec le personnage insulaire de Sandokan, homme mûr et massif dans son corps, mais pour qui le temps semble s'être arrêté à l'époque où il était enfant et où les prêtres lui enseignaient la sexualité sans la nommer ni l'assumer comme telle, lui assurant qu'il buvait la semence du Christ lorsqu'il recueillait leur sperme. Homme à la dérive, hurlant à tue-tête la description de scènes sexuelles qui semblent définitivement fichées dans son esprit pour avoir fait trop tôt effraction dans son corps.


Place inquisitoriale, avec le rôle du Père Garcia, superbement interprété par Marcelo Alonso, le regard bleu glacé, supposé évaluer et assister psychologiquement la petite troupe après le suicide de l'un des leurs. Personnage figé dans la raideur du juge, broyant en lui toute sensiblerie, mais finissant par s'incliner amoureusement sur la figure de la victime, dans une scène inouïe venant revisiter le thème biblique du lavement des pieds et révélant toute la part ambiguë de ce liquidateur, sa libido refoulée, son besoin de tendresse ravalé et foulé aux pieds.


Le plus inquiétant de cette galerie de personnages n'est pas le moins souriant, bien au contraire : Sœur Mónica, sourire fixe greffé sur le visage et ne se départissant qu'exceptionnellement d'une sainte onction où se lit aussi toute la part de contrainte et de cécité imposée face à un réel trop criant. Personnage latéral, ici, témoin, servant, mais pouvant se faire redoutable s'il entre en action.


La réunion de ces êtres pourra conduire à tous les excès humains, toutes les folies, le meurtre étant plus volontiers envisagé que l'acte de chair... Le tout dans la lumière bleue, comme légèrement voilée, de la pellicule choisie par Larrain, qui livre à nos yeux ces personnages erratiques, comme pris dans leurs rêves singuliers, au sein d'une nature amère, implacable, harcelante...

AnneSchneider
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le 22 nov. 2015

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Anne Schneider

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